EL SANTO, MAITRE JACQUES, "LUI"
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             Du Mexique au Chili en passant par la Colombie, les esclaves venus d'Afrique ont été sérieusement détournés de leurs traditions animistes, ils ont totalement adopté le monothéisme au point d'oublier complètement l'existence des Dieux africains. Mais ils adoptèrent certainement avec beaucoup de satisfaction, sans craindre l'inquisition, la croix espagnole du Christ, couverte des outils de la passion du Seigneur, et pouvant rappeler à leur mémoire, ou à leur inconscient, les attributs du Dieu africain : Ogoun.
             
Au Pérou, on rencontre partout des croix avec les outils des travailleurs, l'arc et les flèches des chasseurs, la lune et le soleil des dieux incas, l'écharpe blanche et la tête de mort de Baron Samedi. Baron Samedi est le génie de la mort du Christ. Lire le chapitre "Le guédé du Christ et Baron Samedi". N'y-a-t-il pas trop d'objets sur ce crucifix, cachant en Espagne même, des superstitions inavouables ?
              Couverte de ces outils, la Sainte Croix est ferrée, et elle fait apparaître le fétiche du fer dans le sacré. Aujourd'hui l'esprit révolutionnaire d'Ogoun ne souffle-t-il pas dans la théologie de la libération prêchée par le clergé du Tiers Monde et en particulier latino-américain ? Ce même esprit a animé les croisades, les guerres de religions, l'inquisition, et la détermination des missionnaires à convertir. Combien de statues de saints autour de la basilique de Rome ont des croix lourdes comme des épées ? Il semble bien que cet esprit d'Ogoun, de Saint soldat, est particulièrement présent dans le monde hispanique, qui a dû faire la guerre sainte contre les Arabes. Les Français ont Jeanne d'Arc, Jean Marie Le Pen l'a utilisée dans ce sens pour son rassemblement du premier mai 1988.
              Un deuxième pas dans l'assimilation d'Ogoun au Christ est franchi par les Cubains adeptes de la santéria, ils nomment Ogoun et le Christ de la même manière : EL SANTO, "LE SAINT", pour laisser planer une ambiguïté entre eux deux. Les animistes cubains peuvent assembler les dieux pour n'en faire plus qu'un, et inversement. EL SANTO est le seul présent sur terre, le seul susceptible d'être rencontré à tout instant ; pas besoin de lui donner de nom, il sera nommé anonymement : EL SANTO HOMBRE, (Le Saint Homme). En Haïti, on ne confond pas le Christ avec Gou, mais on peut l'appeler Grand Maître, comme beaucoup d'autres dieux : maîtresse Ezili, maître carrefour : Papa Legba.
              Ogoun n'est pas haut placé dans la hiérarchie des dieux africains, mais il apparaît aux hommes que sa lutte leur est commune parce qu'il a des difficultés humaines. A sa manière il est présent sur terre comme le Christ. L'aventure des hommes le concerne ; si Ogoun par une dernière guerre, échappait à sa malédiction, il entraînerait l'humanité avec lui dans la paix, le bonheur, et pourquoi pas la reconstruction du paradis terrestre haïtien : La GUINEE. Mais l'expérience a montré que cette issue n'est pas possible, la guerre reprend toujours de plus belle.
              Contre la rouille, Hogou Ferraille se bat entre les fers de l'entrefer du travail du fer, du monde des affaires en enfer. Il transpire des auréoles violettes sous les aisselles de son bleu de chauffe ! Il est fatigué de la logique de la violence qui l'entraîne toujours plus loin dans les horreurs de la guerre et l'éloigne de plus en plus de son épouse Ezili. Alors il pourrait bien être ce Christ ouvrier venu sur terre avec la stratégie de mourir tous les jours sur la croix pour désamorcer la malédiction et l'escalade de la guerre.
Le Christ est "Ogoun fait chair" dans un bain de sang. Le Christ est la chair de GOU, quand il vient lutter avec la magie violette de son génie, en mélangeant son sang versé par les outils et les armes à sa noblesse bleue, en gravant d'une croix l'étoile incomparable de son rang de soldat. Malheureusement le Christ est aussi l'exception qui confirme la règle de la violence.
              La découverte d'HOGOU, de Saint Jacques, del Santo, a entraîné tout naturellement mes recherches dans notre propre culture, et particulièrement, en direction des Compagnons du Devoir, les Enfants de Maître Jacques. A la lecture du livre de Jean Pierre BAYARD, "Les Compagnons de France", quelle ne fut pas ma surprise de découvrir la dimension christique de Maître Jacques. Il rejoignait étrangement le rapprochement que font les Cubains entre Ogoun et le Christ. Jean Pierre BAYARD dans sa thèse expose longuement ce syncrétisme entre Maître Jacques et le Christ, à la page 52 de sa thèse, il écri t: "Maître Jacques s'identifie en France avec Hiram et surtout Jésus".
              Le compagnonnage est antérieur à la construction du temple de Salomon, on peut même l'imaginer à l'époque de l'élévation des menhirs, des temples incas, de la muraille de Chine, des pyramides d'Egypte. Mais, comme à Compostelle, la pensée chrétienne l'a marqué dans ses rites païens. Les compagnons ont beaucoup trop travaillé dans les monastères, au contact des moines et du clergé pour ne pas être fortement influencés. Pourtant, si les compagnons éprouvent encore le besoin de se distinguer des autres en suivant le rituel d'une société secrète, c'est qu'il doit bien leur rester quelque chose de fondamentale appartenant à l'archétype des premiers compagnons.
La Bible cite le nom de l'architecte Hiram, mais ne mentionne ni sa mort, ni les noms des compagnons Jacques et Soubise. Cette entorse au texte sacré ressemble à un schisme auréolant un autre de la couronne du Christ. Tant que l'église était puissante, il fallait mieux que le sacrifice eucharistique d'Hiram dans le temple maçonnique reste secret ! Pourtant Jésus n'est pas non plus le premier à mourir rituellement et à réssuciter. Isis est fécondée par Osiris déjà mort, et lui donne un fils: Horus, le Phénix renaît de ses propres cendres, et surtout Prométhée souffre son martyr parce qu'il nous a donné le feu nécessaire pour "promouvoir" la métallurgie du fer.
              Chez les maçons, la reconstitution du crime rituel d'Hiram est un scénario d'initiation à la maîtrise, l'architecte ressuscite à travers le nouveau postulant. "Le Maître après avoir transmis doit s'effacer et mourir afin que son disciple puisse s'élever et s'épanouir, il doit s'immoler après avoir tenu les plus hautes charges, et ressusciter dans la pensée des hommes".
              J.P. BAYARD raconte les étranges funérailles de Maître Jacques d'après "Le secret des Compagnons Cordonniers dévoilé". Jacques est trahi par un de ses disciples, Jéron (ou Jaron, ou Jamais !), tout comme Judas, Jaron lui donne le baiser de la paix. A ce signal, cinq assassins surgissent et le percent de cinq coups de poignard. Durant trois jours, entre la Sainte Baume et Saint-Maximin, huit compagnons, seuls, sans public ni bourreau, portent la dépouille du mort à travers une forêt, sous des éclairs et des torrents d'eau. Ils accomplissent un véritable calvaire, plein d'horreur, de solitude, et d'effroi. La première étape s'appelle cinq doigts, parce qu'ils durent relever la main de leur Maître qui était tombée du brancard. A la seconde étape ils soignèrent ses cinq plaies avec du vin et de l'huile. La troisième étape sous la tempête s'appelle "Remords"! A la quatrième étape "La Plage", quatre compagnons virent leur Maître se lever sur son séant pour leur indiquer une boite enterrée et contenant trois pièces, un ruban bleu, une équerre, et un compas. Après ce douloureux circuit, ils l'enterrèrent selon son souhait, là où eut lieu le crime. Ils lui enlevèrent ses vieux habits, et les mirent dans une caisse avec son bandeau (lorsqu'ils recevraient un nouveau compagnon, ils l'habilleraient dans ces vêtements). Quand les enfants de Maître Jacques se séparèrent, ils firent le partage de ces vêtements, qui serviraient aux receptions.
Maître Jacques apparaît sous un éclairage encore plus christique que Maître Hiram. La solitude de sa mort dans la forêt est déroutante, oppressante. Il n'est pas mort sur une montagne, mais dans un bois, là où se cache GOU avec son remords et son chien. Sa passion est à l'image du désarroi ouvrier, des lendemains de grève perdue, des luttes ouvrières réprimées dans le sang.
              Les Cubains cachent Ogoun en le nommant le SAINT et entretenant la confusion avec le Christ. J.P. Bayard cite Henry Gray qui aurait cherché pourquoi les Compagnons du Devoir ont choisi le nom de Jacques, il écrit "Saint Jacques, premier apôtre, premier évêque est peut-être un frère de sang du Christ, ou son jumeau, tant ils se ressemblaient, pour cette raison Judas signala Jésus en l'embrassant pour éviter toute confusion". Cette hypothèse est difficile à défendre, mais elle montre bien la tentative de concilier les mythes, et combien Jacques est proche de Jésus, ne meurt-il pas comme Jésus, lapidé et pardonnant à ses bourreaux. Les jumeaux (marassa) sont plus importants que les saints, dans le vaudou.
              Pour les compagnons, Jacques est le reflet d'un Jésus qui représente bien leur condition humaine de travailleurs manuels, obligés de prendre la route, abusés par les affairistes qui feront de leurs œuvres des outils d'exploitation au nom du capitalisme ou du marxisme, et assassinés par des compagnons envieux.
Le Saint est aussi Jacques de Molay, brûlé vif parce qu'il avait construit à Dieu et au Christ un empire qui faisait ombrage au ROI. Jacques doit rester pauvre, dans l'anonymat des organisations maçonniques et compagnonniques, et s'il a gagné le drapeau bleu des N.U., personne ne le sait, le drapeau étant à tout le monde et à personne.
Les loges et les confréries furent souvent perçues comme des forces dangereuses pour le Roi et l'église. J.P. Bayard signale des arrêts contre les compagnons datant de 1501, 1506, de Philippe le Bel, de François 1°, de Colbert, et surtout la loi Le Chapelier en juin 1793. Les compagnons sont à l'origine de la revendication ouvrière et des syndicats.
              Jacques et Jésus sont plus complémentaires que concurrents. Certes, Jésus a pris le pas sur Jacques, il a la plus belle image sacrificielle, le mythe de l'agneau de Dieu, et son vœu de pauvreté n'est pas dangereux pour les rois.
              Le temple de vie d'Hiram et de Jacques est temporel, technologique, laïque, maçonique, déiste, à notre GOU, aujourd'hui nous travaillons tous à son édification. Le temple de vie de Jésus est ni de pierre, ni de fer, ni de verdure, ni de ce monde. Sa morale a influencé tout le monde, les athées, les marxistes, et les compagnons qui ont vécu la mort de leur maître comme celle du Christ. Le christianisme est une étape utile à la maçonnerie du temple. Au nom de l'amour de Dieu, Jésus a engagé un processus de paix pour construire les fondations du temple de la société laïque d'aujourd'hui !
             Hiram et Jacques se sont donnés le devoir de transformer la nature, de travailler au progrès matériel de l'homme. Ils souffrent les difficultés techniques de la réalisation de l'œuvre technologique, le remords de sa mise en œuvre, des tentations qu'elle met en branle, de l'usage excessif de la machine et de la pollution, dont l'ampleur échappe à ses promoteurs. Ils sont comme Prométhée enchaîné sur un rocher dans le Caucase, le foie dévoré par un oiseau de proie parce qu'il a voulu donner aux hommes le feu du ciel pour forger l'acier, alors que moralement ils n'étaient pas prêts pour le recevoir. Si le Christ cloué sur la croix réveille "la foi" des hommes, Jacques et Hiram sont enchaînés à l'œuvre matérielle et à ses conséquences.
              René GIRARD, auteur de "La Violence et le Sacré" aurait certainement une analyse particulière à donner sur la personnalité de Hiram et Jacques, Ils sont les deux "victimes émissaires" d'une violence fondatrice d'un mythe inavouable et pour initiés. René GIRARD démontre dans son livre "Le Bouc Emissaire" que rien n'est plus pareil depuis le sacrifice du Christ, le cycle de la violence qui devenait sacré, n'est plus possible. "Toute violence désormais révèle ce que révèle la passion du Christ, la genèse imbécile des idoles sanglantes, de tous les faux dieux des religions, des politiques, des idéologies." "Nous sommes des persécuteurs honteux." Alors, si le Christ a tout démystifié, qu'en est-il du meurtre de Maître Jacques, ou de tout autre leader politique?
              Les Haïtiens imaginent souvent avoir vu le Christ, ils le nomment LUI faute de ne l'avoir pas reconnu dans l'instant. C'est seulement après son passage qu'ils ont su que c'était LUI. LUI est passé par là, LUI a rendu service, LUI n'a le soir qu'une pierre pour reposer sa tête. LUI est LOUIS de droit divin, pieds nus dans une robe claire, une fleur de lys à la main.
              Une MAMBO haïtienne, prêtresse du vaudou, du quartier de carrefour à Port au Prince, a décidé de fêter le premier mai: Saint ISIDORE, un saint laboureur avec ses bœufs, il fait briller le soleil et jaillir une source avec son aiguillon ferré.
              C'est un avertissement pour le Saint des Nations Unies et Maître Jacques ; ils doivent épouser la terre pour la rendre belle et féconde, lui rester fidèle loin de l'industrie et de l'obscur commerce des villes des pays pauvres. Le Saint a besoin de réveiller son sphinx de ses cendres, et d'un bon coup de publicité crier son remords métaphysique, et méta-industriel.

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