Avant Christophe Colomb, l'Amérique avait l'aspect d'un paradis,
mais elle se disait incomplète, elle était dépourvue
d'anges. Sa population les attendait depuis longtemps et les nommait "VIRACOCHAS".
Ses mages les imaginaient la peau blanche et la barbe fleurie, ils disaient
qu'ils viendraient de la mer, à la fin des temps. Les Espagnols
se présentèrent et nous savons ce qu'il advint.
"Je
croyais qu'il s'agissait d'êtres bienveillants envoyés (comme
ils le prétendaient) par Tecsi Viracocha, c'est à dire Dieu;
mais tout s'est avéré, me semble-t-il, inverse de ce que
je croyais: car sachez, frères, que ces êtres, d'après
les preuves qu'ils m'ont données depuis leur arrivée dans
notre pays, ne sont pas fils de Viracocha, mais du démon."
Citation de l'inca TITU CUSI. (1)
On ignore peut-être le voeu pieu du Roi d'Espagne et de son église.
Au XVème siècle, les Espagnols chassèrent de leur
pays les derniers Arabes, et pour des raisons très catholiques,
éliminèrent les Juifs. Un déséquilibre économique
s'ensuivit déjà, et le besoin de nouvelles conquêtes
se fit sentir. Le monde de l'orient leur était fermé et
seule une aventure dangereuse vers l'occident était possible. La
folie catholique aidant, on promit, devant la peur, de donner la conquête
au Christ-Roi, et de lui bâtir un royaume de paradis, contre protection
et richesses.
Et voilà des hommes qui pèchent par crainte et ambition,
car vouloir faire d'une terre un paradis, c'est plutôt du ressort
des anges. Christophe Colomb se trompa dans les distances et n'arrêta
pas de mentir tout le long du chemin. Il fut pourtant la Colombe du Christ-Roi
(2) car il trouva bien un paradis en
mal d'anges et en guise de rameau, il rapporta de l'or pour faire faire
un grand progrès au monde. (3)
José
Carlos Ramos, peintre péruvien, nous révèle dans
sa peinture cette coïncidence
métaphysique de deux mythes: des hommes qui attendent des anges
et des hommes qui veulent jouer à l'ange. Ce secret espoir est
toujours vrai, en Afrique comme en Amérique!
L'artiste nous peint la vision des indiens qui ne reconnurent pas d'emblée
les anges du mal, et il nous montre les parties en présence.
Les soldats en armes profanent de leur regard l'intimité de Pachamama,
la déesse indienne de la terre mère: ils ne peuvent pas
supporter la vision, et ils détournent gênés, leurs
yeux de la beauté. Le représentant de Dieu, ange sainte-nitouche,
paralysé dans son froc, porte son regard loin de ces fruits terrestres
et trop charnels, la croix se fait toute petite au bout du chapelet.
Les docteurs, ceux de toujours, les maîtres des lois et des guerres
sont présents dans un autre espace-temps. Il est remarquable de
voir cette assemblée assise et souveraine entre les jambes de la
jument noire, thème du cauchemar dans la chanson latino-américaine,
et dont l'orateur est à la verticalité de la chute de son
crottin. L'apparition cauchemardesque de cette jument est l'antithèse
même des chevaux blancs de l'apocalypse: c'est la présence
déclarée du diable et des anges qui lui obéissent.
Dans le coin supérieur gauche de la peinture, nous voyons deux
pièces d'or à l'effigie du Roi et de la Reine d'Espagne.
Ils payèrent très chichement ce voyage de l'impossible,
les bateaux faisaient eau et c'est miracle s'ils réussirent. José
Carlos irrespectueusement les peint en vieillards vairons.
C'est un jour heureux. Christophe Colomb regarde ce qu'il a tant désiré.
Un régime doré le couronne. Des angelots portent les couleurs
de la paix du drapeau péruvien. L'un d'eux est assis avec bonheur
sur la France. Ils ont tous le teint rose des anges. L'église pourrait
reconnaître ce jour comme biblique. Les natifs l'appellent le jour
de la Race.(4) Le lendemain de ce 12
octobre s'ouvre à Lima la grande procession du Christ des miracles
porté par les confréries noires, habillées de violet.
A Portobelo, au Panama, port de l'or du Pérou, le Christ noir couvert
de violet sort de son église; jadis il a été volé
aux Espagnols au cours d'un naufrage et caché par la population
noire, alors qu'il était destiné à une église
de Lima par la Reine Isabelle La Catholique. Il est porté par tous
les délinquants de la côte atlantique de Colon qui recherchent
sa protection. C'est l'époque des semences et des fêtes des
divinités indiennes liées à la nature.
A la vue de cette photographie, un jeune noir de Portobelo, de tradition
Congo, m'a montré le cavalier en me disant: "C'est un musulman,
il menace l'ange". Que sait-il des musulmans ? Toujours est-il
que pour la première fois en suivant le regard et le poing de cet
élégant soldat, je vis un ange ailé, rayonnant à
la robe claire, ceint d'une écharpe d'or, caché avec son
épée et sa trompette, entre les plus hautes palmes, à
la hauteur d'un couple de perro-quets amoureux et paisibles.
Cet ange bleu est peut-être une apparition de Santiago entraîné
dans cette mauvaise guerre et essayant de sonner l'armistice contre la
volonté de ce morisque (5), macho
comme un musulman, récemment converti par opportunisme, ou aventurier
de grand chemin, persuadé de participer encore à une guerre
sainte pour convertir les indiens par la force. José Carlos me
révéla plus tard que cet ange en gloire est lui-même,
l'artiste, qui s'est caché pour voir le spectacle de ce jour historique...,
et que cette assemblée moderne sous la jument noire est la réunion
des Nations Unies! Comme si le drame de la conquête continuait toujours
au XXème siècle avec l'arrivée des experts internationaux
aussi généreux de bonnes paroles inutiles que les représentants
du Christ-Roi du XVème siècle, laissant l'Amérique
Latine exsangue, saignée aux quatre veines par le système
international.
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(1)Citation extraite de l'ouvrage de l'ethnologue Nathan
Wachtel: "La vision des vaincus - Les indiens du Pérou devant
la conquête espagnole" chez Galli-mard. Des prophéties
et des prodiges funestes annonçaient ce cataclysme. J.M.G. Le Clésio
a repris ce thème dans son dernier livre: " Le rêve mexicain
ou la pensée interrompue", chez le même éditeur.
R
(2)Ou le (Saint) Christophe portant l'enfant Jésus
et son église pour traverser l'océan.
R
(3)La révolution industrielle a été
possible et a commencé grâce à l'apport de cette masse
d'or qui s'est très vite dispersée dans les pays du nord de
l'Europe, plus industrieux.
R
(4)Le Jour de la Race: c'est le jour de l'arrivée
des gens de la race "supérieure", dont les Espagnols se
voulaient les représentants ; cf. "Que Raza!"
R
(5)Définition du Larousse: "Relatif aux musulmans
d'Espagne convertis au catholicisme, le plus souvent par la contrainte,
sur l'ordre d'Isabelle la Catho-lique. (Les révoltes des morisques
de 1568-1571 décidèrent Philippe III à les chasser
d'Espagne au début du XVIIème siècle: cette émigration
toucha plus de 200 000 personnes.)" Au Panama "un moro" est
une personne non baptisée! Un morion est le casque que portent ces
soldats espagnols.
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