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En
avril 81, aux cours de mes pérégrinations, l'UNESCO me proposa
une mission de 18 mois au MOZAMBIQUE pour développer avec la Direction
Nationale de l'Enseignement Technique (DINET) du Ministère de l'Education
mozambicain, un projet datant de 1977.
J'éprouve
le besoin de raconter cet épisode de ma carrière, pour illustrer
les difficultés à peine croyables d'un projet international
dans un pays particulièrement difficile. Un chemin mauve par excellence,
mais aussi la vision d'une nouvelle forme de présence et d'aide,
qui sera celle que je souhaite pour les compagnons. Si au cours de cette
mission, j'ai éprouvé un sentiment étrange de persécution,
où les Mozambicains ne m'ont pas donné la confiance et la
possibilité de développer mon travail comme un expert traditionnel,
j'ai fini par penser que c'était très bien ainsi. Et j'ai
plus à me plaindre des méthodes de l'UNESCO.
Faisant contre bonne fortune..., j'ai découvert que je pouvais
avoir un rôle fondamental auprès des petits paysans. Grâce
à cette liberté incroyable que l'on m'octroya dans un endroit
où l'on n'aurait jamais dû me laisser, je me suis découvert
une vocation passionnante pour les problèmes de la terre, que tout
homme un peu instruit peut comprendre et assumer, à mon avis. J'ai
vu ce que l'on pouvait réaliser avec le petit peuple, les "sans-voix",
totalement liés au destin de leur terre dans un pays socialiste où
le commerce est inexistant, de cette terre qui est pour moi la déesse
féminine que le Saint doit embellir, enrichir, et épouser.
Ce grand gâchis auquel j'ai participé, aura servi, je l'espère,
à évoquer un jour aux Nations Unies la nécessité
de créer ce corps de compagnons du Saint chez les camarades du Tiers
Monde. Je raconte cette histoire pour montrer l'incapacité de l'aide
internationale à résoudre les plus simples difficultés
humaines, parce qu'elle ne cesse de se dégager de toutes ses responsabilités,
de se laver les mains de tous ses échecs, grâce à des
procédures juridiques. Parce qu'elle ne veut pas simplifier sa bureaucratie
et s'occuper de choses simples et sans éclat, qu'il faut développer
lentement.
Dans ce projet, deux objectifs m'étaient demandés : participer
à la réforme du système d'éducation commencé
en 1978 en l'absence de l'UNESCO déjà en retard, et travailler
à la création d'un Institut de Formation de Professeurs dans
les domaines de la mécanique, de la construction civile, de l'élevage
et de l’agriculture.
Le projet démarrait effectivement trois ans et demi après
la date prévue, freiné par des mésententes, dont la
dernière était entre l'organisme de financement : le PNUD
de New-York, et DINET. Le PNUD refusait d'acheter des tracteurs bulgares
d'origine soviétique, parce qu'il fournissait pour tous les autres
projets des tracteurs MASSEY-FERGUSSON. Le PNUD se justifiait pour des raisons
d'homogénéité de pièces détachées.
Mais le Ministère de l'Education, plus marxiste-léniniste
que tout le monde, ne démordait pas de son choix révolutionnaire.
L'agence d'exécution, l'UNESCO, eut l'idée de contourner le
problème, en démarrant le projet par une étape de dix-huit
mois pour développer seulement la mécanique et la construction
civile. C'est ainsi qu'en tant que mécanicien, je fus invité
à l'exécution de ce projet. En juin 80, un consultant passa
deux mois à Maputo pour établir avec les Mozambicains des
listes de matériel. J'arrivai neuf mois plus tard quand les premiers
achats commencèrent aussi à venir.
La Direction Nationale de l'Enseignement Technique, DINET, avait au
Ministère un département organisé en brigade pour la
formation de ses professeurs ; une équipe d'une douzaine de jeunes
gens avec un chef de 23 ans. Il était mon second homologue, et devint
mon principal interlocuteur. Dès mon arrivé, il m'expliqua
qu'ils avaient été obligés par le PNUD et l'UNESCO
d'accepter un expert pour voir enfin le projet démarrer, mais ils
étaient foncièrement contre ma présence. J'étais
d'un pays capitaliste, donc politiquement inadapté. Je coûtais
35 mille dollars U.S./an ; c'était anormalement trop. Pour une telle
somme, ils étaient en droit d'attendre de moi des miracles, et ils
démontreraient à l'UNESCO que je ne servais à rien.
Je découvris par la suite, combien l'idée de tous les
responsables, à quelque niveau que ce soit, était de m'écarter
de toutes les réunions et des prises de décision, il y avait
un consensus entre eux pour démonter mon inutilité.
Mon homologue me dit dans sa fougue : "cet argent appartient à
notre pays, c'est un dû. Le projet pourrait utiliser ce crédit
à autre chose, il a été détourné de son
objectif, j'étais complice d'un vol. Sans l'immunité diplomatique,
j'étais passible de prison." J'appris très vite à ne
pas me formaliser de ses réparties, il me prenait surtout à
témoin de sa mésentente avec le monde capitaliste. De par
ailleurs, il était aimable, il avait certainement établi une
différence très nette entre ma fonction et ma personne.
C'était un personnage ; je me l'imaginais, avec un livre de chevet
qui aurait pu être, s'il avait existé : L'imitation de la vie
de Lénine. Il devint ainsi à mes yeux une incarnation du léninisme.
Il venait à l'Institut tous les mois avec sa brigade pour nous inspecter.
Je l'attendais avec curiosité, j'aimais son théâtre,
ses attaques déconcertantes pour m'ébranler, son goût
pour les discussions serrées. Il me disait : " Monsieur
Dumont, voyez-vous, un professeur de gymnastique qui viendrait en complet
veston faire sa classe, sans exécuter lui-même les exercices,
serait un mauvais professeur."
Ce
jour là, comme chaque fois, il était en costume, bien cravaté,
le plus élégant de tous, nous visitions ensemble la porcherie,
parce que nos porcs se mouraient de faim... , nous avions trop de jeunes
et si peu d'ordures ménagères. Et voilà que nous étions
montés sur le tas de fumier sans qu'il le sache, tant il était
sec, il gesticulait là au milieu, dans ses beaux habits, en accusant
tout le monde de la mauvaise mine des cochons.
Dans
une autre occasion, suite à des soucis matériels, j'ai le
souvenir d'une conclusion que nous avions spontanément faite ensemble
d'une seule voix : "la propriété est un travail ! " Apparemment
il n'y avait plus de contradiction idéologique. Il prenait très
à cœur la bonne conservation des biens.
D'une
certaine manière, l'UNESCO attendait aussi de moi des miracles !.
On voulait s'illusionner à Paris, en imaginant que l'on m'attendait
dans les hautes instances de décision pour travailler à la
réforme de l'enseignement technique. Le directeur de DINET était
d'origine portugaise, un ancien professeur d'université, le seul
Européen du Ministère et deux fois plus âgé que
ses collègues mozambicains. Il m'a toujours tenu à l'écart
de son travail; lui n'avait pas besoin d'être conseillé! En
fait, il avait demandé à être l'expert UNESCO de ce
projet, ce qui explique beaucoup de choses sur les retards et l'attitude
de ses collègues à mon égard. Mais étant déjà
directeur et ayant pris la nationalité mozambicaine, il était
évidemment impossible qu'il cumule les fonctions dans ce projet.
Selon
la convention, j'avais deux homologues, je dus me contenter d'un seul:
ce caustique jeune chef à l'image de Lénine.
Les
programmes de l'enseignement technique existaient depuis 79, comme quoi
si l'Unesco avait voulu participer à leur élaboration, elle
était bien en retard, ils étaient semblables à nos
programmes français des années soixante. Ce qui s'explique
parce qu'ils ont été établis avec le concours d'Allemands
de l'Est et de Cubains, dont la formation ressemble à la nôtre.
S'ils se réunissaient encore pour améliorer leurs contenus,
je n'ai jamais été invité à aucune réunion
durant les trois mois de mon début de séjour dans la capitale.
Par la suite je m'installai définitivement à l'Institut
de formation d'UMBELUZI à trente kilomètres de Maputo. Le
fait d'habiter si loin de la ville, il fallait plus d'une heure pour se
rendre à Maputo, était significatif de la conversation de
sourds que l'UNESCO avait établi. Des choix et des décisions
contradictoires, deux homologues à des degrés de hiérarchie
différents, un logement de service géographiquement mal
placé, alors que Paris tenait l'Institut pour une action secondaire
et inhabituelle pour l'ascendant de l'agence.
Mon "Program Officer" au PNUD responsable de mon projet avait très
bien perçu le problème, et il me défendait bien d'accepter
cette maison qui en plus était délabrée (1). Le PNUD,
comme l'UNESCO, voulait marquer de l'empreinte "unésiènne"
le Ministère mozambicain. Pourtant, contrairement à leurs
intérêts, ils avaient accepté dans la convention mon
installation à l’extérieur de la ville.
Les Mozambicains n'ont jamais avancé d'un iota de leur position
du début, à savoir: pas de conseiller, des équipements
et surtout des véhicules. Paris a voulu leur faire avaler des couleuvres
pour démarrer ce projet, un peu contre le gré du PNUD, qui
imposait des préalables. Finalement Paris se dupe lui-même.
Il y avait bien un dernier atout, bien qu'illusoire, qui aurait pu
être encore joué; c'était l'achat des équipements.
Mais il était consommé, parce qu'un des principes de l'UNESCO
est: l'expert responsable de l'exécution ne doit pas avoir le pouvoir
de choisir les équipements. Nous verrons combien ce fut un handicap.
J'ai tout de suite préféré vivre près de cette
école, pour découvrir autre chose que la lutte entre Maputo,
le PNUD et l'UNESCO. Là, il y avait la "populaçao" comme
disaient les jeunes loups du Ministère. Mon oreille entendait plus
"populace" que population. Ils avaient un geste large pour définir
la distance entre eux et ce peuple en haillon. Mais il faut dire que mes
jeunes fonctionnaires n'étaient guère mieux lotis; chaussures
rapiécées, manteaux d'enfants transformés en veste,
seulement, eux, ils savaient lire et écrire.
Les Mozambicains passent pour les Prussiens de l'Afrique, ils se veulent
exagérément sévères, pour finir bêtement
en quenouille dans le concret. Je ne sais pas si ce n'est pas une attitude
générale au monde bantou, que j'ai perçu en Haïti
et au Burkina Faso, malgré des politiques bien différentes.
Chaque excès à ses qualités, la discipline et le
civisme africain sont très rassurants pour l'Européen, ils
permettront certainement de réaliser la complémentarité
entre camarades et compagnons dans leur projet.
Le jour de mon arrivée à l'institut, on me fit une grande
démonstration de mobilisation générale autour d'un
mot d'ordre: nettoyage, et grattage des céramiques des latrines
de l'école!
N'avais-je pas dit, au cours d'une conversation que les anciens inspecteurs
français de l'enseignement technique visitaient les toilettes des
élèves en se trompant de porte, pour se faire une opinion
du sérieux de l'établissement.
Le chef était le premier à frotter énergiquement
un urinoir, et l'on m'emmena par là pour que je voie le travail.
Le tartre et la couleur pisseuse assiégeaient partout l'émail,
c'était un travail de forçat, j'en étais gêné
pour eux. Heureusement que le lendemain, la brigade partie, ils abandonnèrent
ce travail inutile. Les installations étaient si vieilles, l'eau
suintait de partout, aucun robinet n'était fermé, à
commencer par le grand réservoir d'eau, dont la bouée devait
être crevée. L'échelle était dangereusement
oxydée, l'eau coulait en permanence dessus, la paroi de ce côté
là était verte. La
lèpre était sur tous les murs de l'école faute de
peinture, j'avais déjà vu cela à Cuba en 1974, c'est
très déprimant à voir. Je venais de Panama où
par principe tout le monde repeint sa maison la veille de Noël, surtout
si elle est petite et en bois.
Je
fus très choqué par cette fuite scandaleuse du réservoir.
J'avais connu le manque d'eau de Maputo, la ville a de gros problèmes
d'approvisionnement, certains quartiers n'en ont qu'une heure par jour.
Nous étions près de la station de captation de la ville,
au bord de la rivière Umbeluzi, les mieux placés pour être
alimentés toute la journée. Je crus bien faire, après
en avoir parlé à mon interlocuteur privilégié
au Ministère, d'aller déclarer cette fuite à l'office
des eaux. Le lendemain, l'eau était coupée à l'institut,
voilà comment cet ingénieur soviétique, que j'avais
vu, avait résolu le problème. Trois jours après,
on nous remettait l'eau, et pendant dix huit mois je vis l'eau couler,
un étang s'était formé et des paysannes plantaient
du riz!
Pour
me loger, une maison m'intéressait particulièrement parmi
celles de la petite urbanisation attenante à l'Institut, mais sans
que je le sache elle était destinée à mes collègues
Cubains. Ils ne l'occupaient pas encore et l'attendaient logés
à côté dans une station agraire. L'intérieur
avait été repeint en bleu vif, je l'exigeai pour moi, je
l'obtins non sans difficulté, avec l'appui opportun d'un responsable
de Paris. Elle était grande, le directeur avait la même,
il était mon plus proche voisin. Les Cubains, trois femmes et trois
hommes, durent dans les débuts, contre leur gré, se satisfaire
de deux plus petites maisons, quand ils vinrent s'installer quelques mois
plus tard à l'Institut.
Je
découvris très vite deux très graves problèmes.
La canalisation de la fosse septique était bouchée, dehors
au pied du mur, du côté de mes toilettes, je vis un jour
de vilaines mouches vertes! L'école avait neuf ouvriers en haillons,
l'un d'eux était le plombier, il vint casser la canalisation. Un
serpent "Mamba" de couleur verte, célèbre pour sa morsure
mortelle, avait élu domicile dans le milieu du tuyau, alors que
d'ordinaire il se réfugie dans les arbres! Ensuite ce fut l'électricien
qui dut venir, un grand dégingandé toujours avec le même
immense pull-over plein de trous. Il monta en haut d'un poteau en fer
avec son échelle métallique, une pince monseigneur à
la main, et bricola de faux fusibles. Il y avait quatre sortes de prises
électriques dans la maison (sud-africaines, américaines,
anglaises, et européennes!) toutes étaient des antiquités
provenant certainement de surplus, alors que l'urbanisation datait de
1958.
Avec
un employé, ma femme blanchit à la chaux les murs de l'enceinte
et fit un jardin potager. Nous allions chaque mois au Swaziland ou en
Afrique du Sud pour acheter de tout. Du côté mozambicain
c'était désolé, rocailleux, abandonné. De
l'autre côté, il y avait des cultures, de la verdure, des
villages blancs et fleuris. Les crêtes des collines, couvertes d'arbres
ayant tous la même taille, soulignaient le reboisement systématique
fait déjà depuis longtemps.
L'horaire
des élèves était le suivant; lever à six heures:
petit déjeuner (thé et biscuits). A sept heures: lever des
couleurs, discours du directeur. Sept heures trente: début des
cours de pédagogie, de psychologie, d'hygiène scolaire,
donnés par trois Cubaines, et de matérialisme, par le directeur
mozambicain. Neuf heures trente: cours d'enseignement général
et technique. Les professeurs bulgares (2) chargés de l'enseignement
technique étaient à l'hôtel à Maputo, sans
moyen de locomotion, ils ne venaient pas. De leur côté, les
Cubains s'adaptèrent très bien, ils étaient consciencieux
et actifs, ce furent de vrais amis pour nous. Deux Mozambicains assumaient
les cours de mathématiques et de portugais. A 9 h. 30, pour beaucoup
d'élèves la journée était finie, ils allaient
se reposer sur leur lit, ils disaient: "vamos a ferrar" (nous allons faire
du fer!) Cette promotion était sur le point de terminer ses études,
dans trois mois ils seraient professeurs en province.
Le coup de grâce me fut porté quand j'appris que pour la
prochaine promotion, la section de formation des professeurs en mécanique
ne serait pas renouvelée à l'Institut, mais confiée
à un projet soviétique à Nampula dans le nord du
pays. L'Institut n'aurait plus qu'une vocation agraire et de construction
civile.
Le
représentant national de l'UNESCO au Mozambique m'assurait de la
direction du deuxième projet de $ 1 400 000 U.S., avec le poste
de Directeur d'un haut degré hiérarchique (passant de professionnel:
P5, à directeur: D1), mais je savais que je ne resterais que le
temps du premier projet, ne donnant satisfaction à personne, et
n'étant pas agriculteur.
Je
dus donner deux tours à une école de Maputo, administrativement
cela me coûta une demande d'autorisation à Paris, avec de
nombreuses justifications, tout en restant responsable du matériel.
Une
lourde fraiseuse était arrivée à Umbéluzi
avant la nouvelle de la suppression de la section. Son déchargement
avait été épique, elle s'était échouée
sans mal, à petite vitesse, lâchée par le monte charge
du camion qui s'était affaissé sous la charge. Pour la remonter
on aurait dû faire un échafaudage de madriers avec des vérins,
aucun véhicule du Ministère avec sa grue n'avait la possibilité
de la soulever. Les écoles techniques en ville ne débordaient
pas d'activités, elles n'ont rien fait pour venir chercher notre
fraiseuse. Dans l'atelier de l'école où j'avais laissé
les tours, la verrière était cassée depuis des mois,
il pleuvait à l'intérieur, des oiseaux avaient élu
domicile sur une armoire métallique d'une donation suédoise,
aussi neuve que les nôtres. Elle était couverte de plume
et les pieds dans l'eau.
Finalement j'ai gardé l'outillage au cas où j'en aurais
eu besoin, je serais même reparti chercher les tours si j'avais
eu l'espoir de rester au Mozambique pour lancer un atelier d'entretien
qui aurait été aussi très utile aux stations agraires
voisines.
Les
équipements arrivaient avec régularité, deux paquets
par semaine, jamais plus, je les accueillais comme des cadeaux. Quand
ils étaient gros, j'allais les chercher au port. Je reçus
ainsi trois véhicules; un 4x4 Land Cruizer, deux minibus Toyota
Hiace et Volkswagen.
Très
vite je perdis le contrôle des mouvements des voitures; sans me
le dire formellement les Mozambicains ne voulurent jamais m'en faire état.
A leurs yeux, cela ne me regardait pas. C'était grave, car le PNUD
et l'UNESCO ne comprendraient pas. Etant seul, sans secrétariat,
je m'en désintéressai très vite, surtout quand je
compris qu'ils s'autosurveillaient énormément. Les voitures
représentaient le maximum de leur désir, c'est la principale
chose qui les intéressait de nous. A la fin du projet ils me demandèrent
un bus Mercédes de 25 places (pas un modèle russe!) Je
gardai donc seulement le contrôle de leur entretien en veillant
de temps en temps sur le kilométrage. Ils firent 130 000 km avec
le Hiace sans changer les pneus. Mon homologue ne souhaitait pas que j'en
achète, il affirmait pouvoir s'en procurer, jusqu'au jour, où
le bus se retrouva sur trois roues, alors je partis au Swaziland acheter
un pneu Firestone. A mon avis, c'est un exploit qui mérite d'être
mentionné.
A
l'improviste si je voulais me déplacer, ils me laissaient un véhicule
sans difficulté. Mais bien souvent je préférais prendre
ma petite Renault 5 qui croisait plus facilement les camions sur cette
route étroite. Ils me donnaient aussi l'essence qu'ils gardaient
dans une vieille citerne oxydée, installée sous un arbre.
Opportunément j'avais reçu une pompe manuelle Japy qui nous
permit ainsi de transvaser l'essence dans les voitures.
Les
abus étaient sévèrement réprimés, un
chauffeur se retrouva définitivement aux cuisines parce qu'il avait
stationné une voiture dans l'enceinte de l'Institut devant la maison
d'une femme, à qui, il rendait visite. Un nouvel intendant, issu
de la brigade et détaché comme tel à l'Institut,
commit l'erreur avec son secrétaire d'utiliser pour leur usage
personnel une voiture la nuit de Noël. Ils furent dénoncés,
et quelque temps plus tard mis en prison pour un tout autre motif, qui
n'était qu'un prétexte pour une punition plus dure. Ils
étaient accusés par leurs propres collègues de Maputo
d'un détournement de 200 000 méticais. La prison au Mozambique
est une affaire sérieuse, ils y restèrent trois semaines,
entassés avec d'autres au point de ne pouvoir ni se coucher, ni
s'asseoir. C'est une torture systématique pour les nouveaux prisonniers
qui peut durer longtemps. Heureusement que leur procès fut avancé
grâce à des appuis, et ils eurent un non lieu. Cette dénonciation
n'était pas fondée, moi-même, je savais bien qu'une
telle somme n'avait jamais existé dans les écritures de
l'école. Ils en sortirent en piteux état, la correction
était disproportionnée, et avait été trop
dure.
Les
Mozambicains étaient entre eux d'une sévérité
extrême, je vis trois directeurs et deux intendants se succéder
à l'Institut accusés d'incompétence. Chaque mois,
suite à des délations, que le Ministère provoquait,
nous allions chercher la brigade avec notre bus pour qu'ils fassent dans
la matinée une enquête, et dressassent un tribunal populaire
dans l'après-midi. J'étais invité à ces réunions;
le matin, c'était si triste, que je restais bouche bée.
Les problèmes soulevés soulignaient bien trop la précarité
de l'école. L'après-midi le tribunal était plus drôle.
Les élèves, les professeurs, l'administration, les travailleurs
et la population étaient présents. On traitait toutes les
accusations les plus insignifiantes, comme la vente interdite de cinq
kilos de pommes de terre à un professeur. Les peines allaient de
la réprobation populaire à la perte de quinze jours de salaire,
ou d'une suspension définitive de travail.
Quant
au reste des équipements, étrangement je restai le seul
à les connaître, à savoir où je les avais rangés.
Périodiquement l'administration de Maputo ou de l'Institut me réclamait
les listes dont ils ne faisaient rien, sauf me prévenir d'un contrôle
imminent. Un jour le contrôle eut lieu, c'est moi qui reçus
l'ordre de le faire!
J'étais
exclu des réunions, je ne m'en plaignais plus, elles devaient être
pesantes. S'ils entamaient un travail, je prenais un malin plaisir à
apporter les outils qui pouvaient les aider. Ils me les rendaient, le
travail fini pas comme les voitures. Seulement 20% du matériel
que j'avais reçu, a été utilisé. Il était
quelque fois incomplet, et inutilisable, les Mozambicains ne l'ont jamais
trop su. Le plus amusant fut une simple tireuse à alcool, nous
n'avions ni le produit ni les carbones. Couramment utilisée dans
les écoles françaises, je la connaissais très bien,
mais je ne savais pas qu'en plus de l'alcool hectographique il me fallait
des carbones hectographiques spéciaux. En Afrique du Sud, le procédé
n'existait pas, l'UNESCO mit six mois pour m'envoyer l'alcool, et de mon
côté, ma méprise me coûta six mois de plus,
je fis l'achat des carbones durant mes vacances en France. Finalement
les Mozambicains malgré mes efforts boudèrent cette machine,
comme la tireuse de rosalite pour le dessin industriel, parce qu'ils avaient
une tireuse Gestetner à stencils qu'ils connaissaient très
bien, les gens de l'Institut me demandèrent pourquoi l'UNESCO ne
leur avait pas donné le même modèle pour remplacer
leur vieille machine.
L'UNESCO avait été bleue d'innocence
avec ces deux machines de tirages de bleus, car qui aurait pu penser que
l'achat était inutile.
Etablir
des listes de matériel tout en bloc avec les fonctionnaires qui
sont à Maputo était une mauvaise idée. Les utilisateurs
n'étaient déjà plus les mêmes. Les besoins
se font sentir au fur et à mesure de l'avancement des choses. E.
Pisani nous l'a montré; la pensée des gens ne marche pas
comme cela, il faut qu'ils le souhaitent. D'autant que le cadeau fausse
l'appropriation de l'objet: une affiche que vous achetez, vous l'accrochez
dans votre maison, si on vous offre la même, il est moins sûr
que vous la colliez à votre mur.
A
la limite, les Mozambicains n'avaient rien demandé d'autre que
des véhicules! Cette vieille institution qu'est l'UNESCO avait
fait trop d'expériences malencontreuses pour pouvoir satisfaire
pas à pas, au quotidien, les besoins et le développement
de l'Institut. Imbue d'elle même, elle dit faire les choses vite
et bien, grâce à la très haute compétence de
ses services, et de ses exceptionnels experts, sélectionnés
dans la quintessence du professionnalisme occidental: les "Rambos" de
la culture. Sa condescendance envers le Tiers Monde est évidente,
prétentieuse, et imbécile.
Le
jour de la clôture d'un cours, je lus sur une banderole "ABAIXO
LA PREPONDANCIA" ( A BAS LA PREPONDERANCE ). Les Mozambicains luttaient
contre la prédominance de toutes sortes et plus particulièrement
des pays riches. J'en ai fait l'expérience de deux manières:
on prenait toujours le contre pied de mes suggestions, mon travail était
de me taire pour que le bon sens l'emporte. Lors de son discours de clôture,
notre chef remercia les professeurs mozambicains, une volontaire brésilienne,
les professeurs camarades internationalistes, mais il omit de remercier
l'UNESCO qui avait pourtant grâce à ses dons permis de concrétiser
pas mal de choses.
En
fait, le consultant de l'UNESCO avait établi les listes de matériel
sans les Mozambicains, mais avec l'aval d'un expert suédois détaché
au Ministère pour implanter des ateliers. Ainsi s'explique l'origine
suédoise de nos machines, de nos outils et armoires. A cela rien
à dire, sauf que les jeunes fonctionnaires mozambicains déjà
bien trop aguerris aux subtilités administratives, ne voulurent
pas se responsabiliser sur les choix, n'ayant aucune idée personnelle
de ce qu'il fallait, et ne travaillant qu'au coup par coup, malgré
la planification établie par eux-mêmes. Si bien que le jeune
homme qui avait accompagné le consultant se défendait de
savoir ce qu'ils avaient commandé. Mon homologue consultait brièvement
les listes de temps en temps, mais il n'arrivait pas non plus à
avoir une vue entière de leurs contenus.
Ce
consultant aurait dû avoir le courage de ne commander que les équipements
définis correctement par les Mozambicains pour économiser
une partie du budget de $ 190 000. Il a forcé le sort, il a voulu
accélérer les choses et les gens durant sa trop courte et
trop dense visite. Au lieu d'éventuelles économies; soit
une petite moitié des $ 190 000. Je n'ai eu que $ 3 000 pour répondre
pendant 18 mois au besoin des diverses activités non planifiées.
(Il ne se faisait que des choses non planifiées). J'aurais pu alors
envisager d'acheter une bouée pour le château d'eau, de refaire
l'échelle, et tant d'autres choses nécessaires pouvant avoir
une portée pédagogique, si on sait y faire.
Aucun
entrepreneur n'aurait agi comme l'Unesco dans ce contexte, il se serait
bien gardé de dépenser son capital avant de savoir de quoi
sera fait exactement demain. L'Unesco était aussi plus royaliste
que le Roi, les Mozambicains n'avaient aucun préjugé sur
l'origine des choses, tout pouvait venir de l'Afrique du Sud, mais l'Unesco
ne voulait rien acheter là bas, s'imaginant participer ainsi à
la lutte anti-apartheid. Les Mozambicains disaient: on ne choisit pas
son voisin, ils ne considéraient pas non plus que des objets pouvaient
être chargés politiquement, même pas les livres. Il
n'y avait pas de censure! Et à ce sujet j'ai eu une mésaventure;
n'avais-je pas établi pour la bibliothèque de l'Institut
une liste de livres en oubliant la contre signature de mon homologue!
L'Unesco s'empara de cette affaire pour me faire porter le chapeau de
leur incurie. Par l'intermédiaire du PNUD, elle s'adressa directement
à mon collègue mozambicain pour dénoncer la malignité
de mon intention d'introduire de la littérature non autorisée.
Sa réaction fut magnifique:" l'Unesco nous fait perdre du temps,
nous attendons ces livres depuis trop longtemps". Bien évidemment
j'avais établi la liste avec lui. (Il ne nous avait manqué
que le formulaire de commande où apparaissait l'espace pour les
deux signatures.)
Les
Mozambicains avaient malheureusement aussi le défaut de thésauriser
les choses. Les équipements prenaient l'allure d'un trésor
qu'il fallait protéger, et conserver toujours neuf, plutôt
que de l'utiliser avec le risque de l'user trop tôt. Ils agissaient
comme s'ils se préparaient pour un grand démarrage à
une date "x", leur permettant enfin d'entrer dans le monde moderne.
C'était
aussi des adolescents très seuls, il n'y avait pas parmi eux d'adultes
forts de leur réussite. Depuis six ans, ils ne faisaient que de
mauvaises expériences, personne n'avait effectivement réussi
quelque chose de concret, leur confiance était bien ébranlée.
Ils en étaient devenus d'autant plus avares et durs.
C'est
ainsi qu'ils avaient reçu d'Europe une quantité fabuleuse
de règles à calcul. Pour cause, tout le monde sait que depuis
l'introduction des calculatrices électroniques, la règle
à calcul a disparu et les stocks sont bons pour la poubelle. Au
Mozambique, il n'y avait pas de raison pour qu'elle soit obsolète,
tant que les politiciens ne l'avaient pas dit! Moi, qui dans ma jeunesse
était un champion de la règle à calcul: je fis un
exposé, mais cela ne suffit pas pour prendre la décision
de les distribuer, au contraire je sus que c'était très
grave et risqué d'en perdre un seul exemplaire. Nous les rendîmes
tout de suite. En fait, les élèves étaient dans une
situation si modeste qu'ils vivaient notre monde dans un surréalisme
total, ils se contentaient d'un petit cahier, d'un stylo et de n'importe
quel livre à feuilleter inlassablement. Ils ne tenaient pas non
plus à avoir une règle à calcul, elle les déstabiliserait
dans leur certitude, c'était déjà trop subtil dans
l'utilisation. Ils avaient vu aussi dans la main de notre chef, éminent
membre du parti, la fameuse calculatrice électronique si facile
d'usage.
Les
magasins comme les directeurs avaient la bougeotte, un grand Christ était
entreposé avec les règles à calcul. Dans le dernier
mouvement de magasin que je connus, il termina dans des W.C. abandonnés
et malodorants; cela ne les a pas dérangés. Aujourd'hui
j'aime à penser que leur Saint partage de cette manière
le même sort qu'eux. GOU est aux "égout". Je me rappelle
combien la situation des sanitaires des élèves était
critique, les odeurs étaient si fortes que je ne me suis jamais
décidé à les visiter complètement. Ils donnaient
dans l'ancienne bibliothèque transformée en dortoir. Cette
très grande pièce était envahie par la pestilence,
pourtant sur le mur principal était peint une mappemonde portugaise
avec la représentation des grands vents marins soufflés
par des bébés joufflus qui auraient pu, s'ils avaient été
vrais, ventiler cette odeur nauséabonde.
Moi
aussi je faisais tourner les armoires de l'UNESCO avec une dizaine d'élèves
qui m'accompagnaient tout le temps et partout.
Je
reçus aussi des appareils bizarres que nous aurions pu confondre
avec des fumigateurs; sur le mode d'emploi, ils étaient attachés
dans le dos d'un indien emplumé éteignant les incendies
de forêts aux Etat Unis! Nous avions des masses en plomb munies
d'un long manche, je les prêtai un jour aux élèves
avec un marteau piqueur peugeot quand je les vis défoncer un mur
avec une seule vieille masse en acier. Les masses me revinrent toutes
écrabouillées, ils étaient contents, le mur était
tombé. Nous avions aussi un appareil à souder acétylénique
sans buse.
Les
neuf travailleurs qui effectivement avaient besoin d'outils, ne savaient
pas non plus ce qu'il y avait dans le magasin. Ils me traitaient avec
beaucoup d'amabilité et de respect. J'aimais leur rendre visite
et résoudre avec eux leurs difficultés. Je me passionnais
pour la plomberie, et grâce aux trois mille dollars que j’exigea
du PNUD, j'achetais chaque mois quelque chose au Swaziland pour l'Institut,
entre autre des robinets inexistants à Maputo. Je sus aussi trouver
le joint de la pompe espagnole en panne depuis un an pour irriguer quelques
hectares.
Ils purent envisager de planter trois hectares de pommes de terre, pour
changer de l'éternelle culture du chou. J'achetai l'appareil de
fumigation, les insecticides. La récolte fut excellente et faite
par les élèves. Mais la distribution fut un sujet de conflit.
J'achetai des graines de toutes sortes, seul les épinards ne furent
pas appréciés, je n'ai pas compris pourquoi!
Il
y a 25 ans cet Institut était un centre agraire expérimental,
les documents d'époque font état d'une superficie de huit
cents hectares, que le Ministère situait derrière l'école.
Avant la révolution, il y a vingt ans, le centre fut transformé
en Institut de Formation d'Autorités "Gentilicas", pour les fils
de chefs de village appelés à représenter le pouvoir
colonial dans leur région comme des petits sous-préfets.
Dans cette nouvelle période de nombreuses familles de paysans eurent
l'autorisation de s'installer sur ces terres très riches de la
vallée de l'Umbéluzi, de l'ancien Centre Expérimental.
En 1982 il y avait 141 familles enregistrées. Elles avaient une
école primaire et leur coopérative dans le cœur de l'Institut.
Toutes les ménagères venaient chercher de l'eau a un robinet
situé au milieu de la cour. Le savon était rare, avec les
eaux ménagères elles pouvaient arroser quelques plantes
autour de leur maison, voilà deux ans qu'il n'y avait pas eu de
pluies normales. Malgré l'absence d'eau, cette vallée de
l'Umbeluzi était verte et boisée, il y avait une multitude
de petits chemins qui menaient aux habitations situées sur les
hauteurs des vallons. Je prenais un grand plaisir à me promener
à vélo suivi d'un dalmatien, qu'un Bulgare m'avait laissé
après un court séjour à l'Institut. Les coqs s'enfuyaient
à notre approche et se lançaient aux sommets des toits de
chaume. Les chiens grondaient, nous étions au pays d'Obélix.
Nous entretenions de bonnes relations avec notre voisinage le plus proche,
ils troquaient avec nous des poulets contre des couvertures que nous leur
achetions au Swaziland. Ils ratissaient notre tas d'ordures de tous les
récipients possibles, et nous remerciaient en engageant une danse
de joie. L'un d'eux, simple militaire, voulu un jour me montrer son menu
du jour, c'était une soupe de feuilles sauvages qui poussaient
à côté de sa cabane. "Je te montre cela pour que toi
qui viens de si loin, le sache et puisse à l'occasion le dire."
Un autre, qui avait un certain niveau d'étude, me dit: nous sommes
des morts vivants.
Le
chien Dique avait été abandonné par des Portugais
dans une maison bourgeoise qui était depuis l'Ambassade Bulgare,
il était très beau, avec un reflet vert dans l'un de ses
yeux. C'était tout à la fois un chien de salon et le roi
des tas d'ordures, qu'il défendait durement contre tous les autres
chiens. Quand il arriva en France, bien qu'il mangeât plus qu'à
sa faim, il éprouvait le besoin de visiter toutes les poubelles,
et faisait des découvertes surprenantes. A la maison, il vous laissait
croire qu'il écoutait votre conversation, en suivant des yeux le
mouvement de votre bouche, la tête droite et les pattes de devant
croisées avec distinction. Ce fut un très bon compagnon
pour ma femme.
Des
cartographes français me permirent de faire un relevé des
photos aériennes qu'ils avaient faites de notre Institut, j'eus
un certain succès avec ma carte, même auprès du grand
Directeur. Il se pencha dessus et reçut avec plaisir un exemplaire.
Avec l'échelle je démontra à mes collègues
que ce qu'ils croyaient être les terres de l'Institut ne représentait
que deux cents hectares. Les huit cents hectares étaient délimités
par une route qui longeait le camp militaire de Boane. L'original de ma
carte était sur un grand calque et se fut l'unique occasion d'utiliser
la tireuse de papier rosalite. Nous avions un grand jerrycan d'ammoniaque,
une énorme réserve de papiers périssables, mais ce
n'est pas pour autant que les Mozambicains l'utilisèrent. Ils n'en
avaient effectivement pas encore besoin.
La
découverte du territoire permit à notre chef de parler de
son projet dans l'esprit révolutionnaire marxiste-léniniste,
tel qu'il devait s'exécuter : déplacer toute la population,
exploiter les terres d'une manière rationnelle, extensive, avec
les élèves et les gros tracteurs bulgares. Il y avait pourtant
plusieurs obstacles contre son ambitieux programme dépourvu d'imagination.
Une grande partie des terres était inondable par la rivière,
de nombreux grands arbres plantés il y a vingt ans par les paysans
autour de leurs maisons devraient être déracinés,
des haies vives arrachées. En haut lieu on ne lui donnerait pas
raison, les militaires avaient pris l'habitude d'installer dans cet endroit
des familles qu'ils avaient déplacées ou des familles de
soldats. (50 nouvelles familles enregistrées en six mois, début
1982.)
De
mon côté je nourrissais une autre idée pour eux, que
j’élabora dans mon rapport final et émis verbalement lors
de la mission des trois consultants qui vinrent établir les listes
de commandes du prochain projet sous la houlette d'un Libanais qui avait
su dire auparavant tout le mal de ma mission. Je proposais de faire installer
une station de pompage sur la rivière distante d'un kilomètre,
et de donner l'eau à chaque concession, avec un ensemble de vannes
pour distribuer et économiser l'eau à cause de la sécheresse.
Les élèves en collaboration avec les familles pourraient
alors mener des programmes de cultures, des essais, apprendre à
gérer l'eau, les engrais et la production sans être directement
les agriculteurs. Nous satisferions ainsi la pédagogie de la formation
par la production et l'auto-alimentation des élèves de l'école,
sans pour autant sacrifier l'enseignement général par de
longs travaux aux champs.
Cette
idée ne fut malheureusement celle de personne, sauf peut-être
de ceux qui n'avaient pas droit à la parole, et qui seraient mis
dehors.
Les
quatre consultants pleins de mauvaise foi, dressèrent des listes
totalement extravagantes et irréalistes. Il fallait dépenser
600 000 dollars, alors on commanda jusqu'à une moissonneuse batteuse,
en sachant bien qu'une évaluation du PNUD ne donnerait pas de suite
à ces propositions irresponsables. Déjà 45 000 dollars
avaient été dépensés pour la venue de ces
experts. Les Mozambicains enfermés dans leurs principes révolutionnaires
voulaient quand même les gros tracteurs et la moissonneuse.
Un
tel projet était bien trop empreint de politique pour être
techniquement honnête. A une échelle moindre c'est le problème
de la coopération en général, et finalement les experts
font des travaux qui ne vont nulle part, ils sont seulement utiles d'une
manière informelle, en payant des employés, en mettant un
point d'honneur à entretenir un beau jardin, bien qu'ils sachent
qu'un jour ils s'en iront.
Dommage
que personne ne les ait mobilisés et motivés pour participer
aux plantations de la ceinture verte des villes où ils habitent,
ils feraient des merveilles.
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