NOTE: 2

DECOUVERTE DE OGOUN ET DU CHEMIN MAUVE

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              C'est aussi en 1980 que j'ai imaginé: Le Saint Bleu Egaré. Pourtant je ne savais pas grand chose du vaudou, j'habitais Haïti seulement depuis un an, je n'avais pratiquement rien lu sur le sujet, je n'avais pas non plus assisté à des cérémonies. Mais suite à deux séjours en Amérique Latine, j'ai acquis une sensibilité qui a orienté ma curiosité. De 1971 à 1973, j'ai enseigné la technologie à l'université de Panama dans le cadre de la coopération durant mon service militaire. Fort de cette expérience, de 1975 à 1979, j'ai dirigé un projet de formation de professeurs techniques à l'institut Blaise Pascal de Lima au Pérou, pour l'enseignement professionnel de ce pays
.
              Au Panama j'étais très intrigué par les gestes des chauffeurs, avant de faire démarrer leurs véhicules ils touchaient des images pieuses. Dans les bus, les passagers se signaient au croisement des églises. Les ouvriers portent sous leur chemise parfaitement repassée un cordon en bandoulière avec des scapulaires: médaillons d'images plastifiées du Christ noir de Portobelo et de la vierge du Carmel . Dans le bar où ils vont boire et se détendre, les saints sont là, dans l'obscurité, accrochés au mur, sous des lumières clignotantes. Ils les retrouvent collés au comptoir des commerçants, et même s'ils s'aventurent chez une prostituée, Saint Michel sera là pour chasser le diable. En France, les voyous auraient honte de dévoiler une religiosité quelconque. Au Panamà, ils portent en tatouage leur Saint "El Nazareno" bien mis en évidence. Les délinquants, bien sapés et soigneux de leur image, la coiffure "afro" particulièrement arrangée, d'une démarche coulée de bel animal, mélangent les saints à leur touche latino-jamaïcaine. Les saints ne sont pas l'emblème que des bigots, mais aussi du peuple dans son culte de la santéria.

              Un Français peut y trouver de l'intérêt, sans pour autant croire que ce genre va se répandre en France chez les branchés! Il en est de même de leur musique d'origine cubaine et portoricaine; la salsa, elle n'a jamais réussi à se commercialiser chez nous malgré toute sa saveur!

              En Haïti, les chromos des saints sont présents au superlatif, non seulement dans les bus, mais sur les carrosseries! Encore plus surprenant pour nous dans ce contexte francophone, où Saint Jacques est omniprésent et en compagnie de la Sainte Vierge Marie.

              J'ai découvert Hogou Ferraille quand mes anciens élèves péruviens m'envoyèrent à Port au Prince le prospectus de leur nouvelle récolteuse de pommes de terre, photographiée sur un fond bleu roi. Elle est belle, bien charpentée avec une tête de lionne agressive. Un an auparavant, à Lima, nous avions conçu ensemble le premier modèle. En mon souvenir, ils ont appelé leur nouvelle machine : JAQUES 1S/3. (1S/3 signifie une prise de force et trois points de fixations). C'est l'aventure la plus formidable que j'ai vécue au Pérou. Une amie haïtienne, en découvrant mon prospectus et son histoire, me conta spontanément ce que l'on ne m'avait jamais expliqué sur Saint Jacques: son nom, Hogou Ferraille, celui de son épouse Ezili Freda: la Sainte Vierge Marie, ses couleurs: rouge et bleu, son fétiche: le fer, sa fonction: dieu des forgerons et de la guerre.

              Avec quelle conviction elle me dit: "IL EST RICHE ET GENEREUX". Je fus enchanté et doublement concerné; mécanicien par mon métier et Jacques le mineur parce que mes parents fêtaient ma fête le jour du 1° mai. J'avais aussi une réponse intéressante à soumettre à l'inquiêtude de mon ancien professeur de philosophie qui se désolait du devenir de notre monde éloigné de ses valeurs morales depuis qu'il était envahi par cette technologie sans âme, dont nous étions les victimes, nous, les petits écoliers de l'enseignement technique.

              J'ai alors commencé à me rendre dans les temples pour voir les peintures murales et converser avec les initiés. En fait sur Hogou, je n'ai rien découvert de plus que cette malédiction planant sur lui, qui l'entraîne à la guerre et en exil. Information, que j'ai trouvée à la lecture de livres sur la santéria cubaine appartenant à un ami alsacien, chercheur en pharmacologie traditionnelle. Les Haïtiens ne parlent pas trop de ce maléfice, mais ils n'ont pas peur d'évoquer la déchéance d'Ogoun: "On prête à Ogoun l'aspect et les façons des vieux briscards du temps des baïonnettes. Pour mieux l'incarner, ses fidèles se coiffent d'un képi à la française et revêtent un dolman rouge avec des foulards de la même couleur attachés aux bras. Les Ogoun brandissent un sabre coupe-liane comme s'ils étaient prisonniers de la forêt, ils affectent le langage brusque et énergique du soldat, qu'ils entrecoupent de gros jurons. Ils machonnent un cigare et réclament du rhum selon la formule consacrée : "Mes testicules sont froids".

              Un vieil haïtien, fils de l'écrivain Price Mars qui a écrit en 1928 le premier livre sur le vaudou : "Ainsi parla l'Oncle" me dit très sérieusement le vaudou est dans la rue. Il m'a fallu du temps pour comprendre la réflexion de cet intellectuel haïtien. Aujourd'hui j'en suis convaincu et très satisfait. Cela me suffit. Je vois le vaudou dans notre monde moderne et sans dieu. Après "la rafale des années sixties", la défroque du Saint est la veste treillis des surplus américains arborée par notre jeunesse, galonnée du badge "Peace and Love". Ogoun "1962-1975" a remplacé son cigare par la marihuana, ses Blues par le hard-rock, aux titres si évocateur: Métallica, Anthrax. Le héros souffre des mêmes contradictions que Blueberry "1861-1865".

              Ogoun ne serait pas un vrai soudard s'il n'avait aussi un faible pour les jupons. Il se ruine pour les jolies femmes. Il a bon goût. Dans une comptine on dit : Ogoun travaille, mais il ne mange pas. Il met de l'argent de côté pour aller dormir chez une belle femme. Hier au soir, Ferraille a dormi sans souper." ( clef: A. Metraux )

              La faim en créole se dit "grand goût". Nous pouvons écrire phonétiquement: gran GOU, le cri d'une faim désespérée qui fait de moi un GOU, et HO! GOU, le cri de l'admiration pour le Saint, ou HAUT GOU, parce qu'il est le plus grand. Il n'y a pas de contradiction, Ogoun est tout à la fois: HAUT GOU, le majeur, et le plus petit GOU, le mineur: l'affamé, ruiné par les femmes et la guerre.

              Comme il est l'alpha et l'oméga, il est dans le haut et dans le bas, il est le riche et le pauvre, le grand et le petit, des différences qu'il faut abolir, pour réaliser l'unité incorruptible du triomphe de Dieu, selon les principes de l'hermétisme. (clef: Encyclopédia Universalis)

              Nous ressemblons beaucoup à GOU, dans la vie nous n'en faisons bien souvent qu'à notre goût, et si parfois nous sommes déprimés ou simplement déçus, nous sommes sans LUI, nous sommes sans goût. Actuellement, la médiocrité de notre goût est notre manque de courage, notre esprit grégaire, notre polarisation pour le pire des GOU jusqu'au dégoût. Dans notre société matérialiste et technologique, le plus mauvais des GOU est à l'origine de tous nos choix: la course au développement axée sur l'industrie et l'armement, les diverses révolutions marxistes-léninistes dans le monde. Nous subissons ses aspects les plus dangereux. Avec les voitures de sport, nous lui vouons un véritable culte. Il est notre "GOU" des accélérations et de la vitesse, bardé de tôles ou de cuir, dont le rituel dominical coûte la vie à des centaines de personnes. La démesure du sacrifice démontre bien l'importance de ce Dieu Ferraille. Dans nos moindres activités, il nous fait trébucher par excès, c'est ce que j'appelle : nos égarements du "GOU" du Fer, notre chemin mauve. Pourtant le minimum du bon GOU nous enseigne un chemin de Jacques Prévert et d'espérance, beaucoup plus à notre goût.

              Ogoun dans une cérémonie vaudouesque a droit à la parade de deux étendards rouges, avec en leur milieu un blason de Saint Jacques, armé d'une épée et cabrant son cheval. Les drapeaux s'inclinent aux quatre points cardinaux, se promènent, dansent, et jonglent. Le rouge est la deuxième couleur du Saint, il existe un lys rouge de Saint Jacques chez les botanistes. Dans la magie des drapeaux, il n'y a pas à en douter, le drapeau de l'Union Soviétique, rouge avec son marteau et sa faucille dorée, est bien celui du Saint Ferraille Révolutionnaire. Le drapeau de la Suisse est une de ses anciennes victoires, acquises depuis longtemps, marquées d'une croix blanche de paix. Il n'y a pas de neutralité possible sans une victoire assurée, sans la force inexpugnable d'un peuple aguerri et organisé pour dissuader n'importe quel agresseur. Les anciens mercenaires de l'Europe sont aujourd'hui les mécaniciens les plus prestigieux et les mieux payés au monde.

              Le drapeau de la croix Rouge, d'origine Suisse, est son contraire; la neutralité sans la force est un équilibre instable et dangereux, même pour une mission humanitaire.

              Après le départ des Espagnols du Pérou, les natifs virent dans le ciel, un oiseau au corps blanc et aux ailes rouges. Ils firent leur drapeau de cette association de couleurs synonyme de paix et d'inviolabilité, et respecté depuis par tous les Péruviens. Pour se garantir la neutralité des forces de la police, les Indiens après avoir construit leurs maisons en une nuit dans des zones plus ou moins interdites, dressent au petit matin une forêt de drapeaux. C'est ainsi que sont nées les nombreuses barriadas cernant dangereusement la capitale.

              Le blanc et le rouge sont les couleurs des armées d'opérette, des orchestres de majorettes de la paix. Si j'oublie de parler du drapeau du Canada, c'est que cette feuille rouge mérite un livre.

              Le nom de Jacques, nous le retrouvons bien nommé avec le drapeau de l'Union Jack du Royaume Uni; où, la croix anglaise rouge sur fond blanc de Saint Georges, (identifié à Ogoun au Brésil) se superpose à la croix écossaise de Saint André, blanche sur fond bleu, et à la croix rouge irlandaise de Saint Patrick.

              Malheureusement Jacques est aussi le petit dévoyé en prison: de Jacques l'éventreur, au joueur de Black Jack, gagneur de Jack Pot, il y a toute la délinquance des "Fais pas le Jacques" avec les "Maries couches-toi là". Ogoun est leur mauvais goût, ils suivent son chemin mauve. Les couleurs m'ont intrigué quand j'ai réalisé que la négritude d'Amérique Latine donnait au violet des églises, une gaieté, une violence apaisée, une sérénité, qui m'était agréable.

Je dois la découverte des trois couleurs panafricaines du mouvement rasta, le jaune de la joie, le rouge de la victoire, le vert de l'espérance, au lyrisme verbal d'un jeune noir marginal. Il m'avait gagné le coeur, mais le bleu de sa francité était singulièrement absent de sa révolte pour réaliser l'arc-en-ciel?

              Au Pérou j'avais fréquenté des peintres, ils avaient exposé à Sao Paulo sur le thème de la magie en Amérique Latine. A l'époque je ne voyais rien de magique dans leurs oeuvres; si ce n'est, de la peinture sacrée à cause de la présence de beaucoup de vierges, du Christ et de la mythologie Inca: le triptyque du soleil, de l'arc-en-ciel, et de la lune, la naissance de l'Inca. En Haïti leur peinture devint magique quand je compris pourquoi la Sainte Vierge était sur un arc-en-ciel, pourquoi l'enfant Jésus était en complet veston sur les épaules de Saint Christophe, pourquoi les montagnes étaient des indiennes endormies.

              A Lima, j'habitais le quartier de Barranco en face de la maison de l'artiste Delfin de réputation internationale. Avec son père il avait appris à recharger au chalumeau les trépans de forage, travail très dur et inimaginable dans un pays développé. Passé maître dans les travaux du fer, il forgea des oiseaux en tôle d'acier, des chevaux, des lions. Je les voyais de chez moi, ils étaient splendides, et redoutables. J'ai eu envie de faire la même chose.

              Dans notre institut, après avoir fait de l'outillage pour les différents ateliers, il nous manquait une réalisation d'envergure. Nos élèves péruviens étaient d'excellents mécaniciens, il suffit de regarder les merveilles artisanales des indiens pour se rendre compte de leur habileté. L'université agraire de Lima nous orienta sur ce projet de récolteuse de pommes de terre. Les coopératives de la côte cultivent un tubercule qui s'étale sous un large sillon d'un mêtre de large, dans une terre farineuse et légère. Malheureusement les machines américaines et européennes ne sont pas adaptées à cette situation. Les sillons sont trop larges, et les récolteuses trop étroites. Les cultivateurs se désespèrent de laisser plus de 50% de la production en terre, leur outil tiré par un tracteur est trop rudimentaire, il enterre en même temps qu'il dégage.

              Après la récolte officielle, les indiens et les noirs viennent glaner. Ils en ramassent tant, qu'ils vendent leur surplus à la ville. Derrière eux viennent les cochons pour labourer et manger tout ce qui peut rester! Au début de notre entreprise nous n'avons pas su que les pauvres venaient terminer la récolte, et que tout n'était pas perdu pour tout le monde.

              De France je ramenai le prospectus d'un modèle allemand utilisé dans les petites exploitations de Haute Provence: La Piccolo. Nous nous en inspirâmes et la construction se passa bien.

              L'institut avait besoin de publicité, il inaugura le prototype en invitant à une démonstration l'Ambassadeur de France, le Président du Centre National de Formation Professionelle, son Directeur, des journalistes et la télévision. Le lendemain, le journal "El Commercio" publiait un article élogieux avec une photo de la récolteuse. Le surlendemain, dans le journal "La Prensa" apparaissait la même photo, mais légérement effacée, avec un article complètement hors sujet: "La municipalité du port du Callao débarrasse les rues autour du marché central de tous ses vendeurs ambulants,.., cette opération sera surveillée par la police municipale avec l'appui de la garde civile".

              Je n'ai pas su qui avait écrit cet article, si c'était une erreur ou au contraire une moquerie. J'avais dit et souhaité que grâce à de telles actions, nos anciens élèves, non recrutés comme professeurs faute de postes budgetaires, pourraient démarrer des petites entreprises. Or nos étudiants étaient des Indiens très modestes. Dans l'esprit des gens, l'école technique est un lieu semi-disciplinaire pour placer les petits délinquants. (Nous retrouvons bien là l'archétype de Hogou.) Nos élèves, quand ils trouvaient un emploi, devaient abandonner les méthodes de travail que nous leur avions enseignées. Pour le patron, le dessin et les études de fabrication sont inutilement longues et coûteuses. Les grandes fabriques n'ont en général pas d'atelier d'entretien important. Elles sous-traitent dans la rue avec des petites entreprises travaillant au noir sur des machines rachetées lors des crises successives et des faillites en chaines. Il existe ainsi tout un secteur informel dans les barriadas, controlé par une mafia de propriétaires de machines, qui dispose d'une immense main d'oeuvre, formée sur le tas et particulièrement ingénieuse, habile, et peu exigeante. Notre technicien formé chez nous, n'a pas de place dans ce monde. L'expression consacrée par le patron est : mon "cholo" (indien), il fait des miracles. C'est trop vrai, parce que, sans norme de sécurité, dans la poussière, l'obscurité d'un réduit innommable, sans dessin, avec des outils aux formes méconnaissables, il a su imiter la pièce à refaire.

              De la même manière que l'on visite le Machu-Pichu, il faut découvrir ces ateliers et notre ancienne usine sidérugique de Chimbote, que des techniciens français ont construite et dirigée de 1958 à 1966; c'est "sidérant", tordu, hallucinant, dantesque, le plus surprenant est qu'un quart de l'installation tourne encore.

              Décrire ce secteur informel péruvien, c'est écrire un roman noir. Mais il ne faut pas trop le critiquer, grâce aux activités marginales des bricoleurs, des ambulants, le pays évite l'asphyxie. C'est 40% des activités commerciales, et 80% des citadins en vivent. Alors l'article de la Prensa était peut-être bien une habile mise en garde, pleine d'humour, pour m’arrêter dans mon élan. Ce qui est une des grâces hispaniques de vous avertir sans vous le dire. Dommage pour vous, si vous n'avez pas voulu comprendre.

              La fabrique de la récolteuse n'aurait certainement promu ni nos méthodes, ni nos anciens élèves, cette entreprise aurait comme toutes les autres sous-traitée avec des ateliers marginaux qui pullulent comme les pauvres venus de la campagne. A mes dépends, je découvrais que ce n'était pas la technologie qui ferait diminuer l'expoitation des manuels et sauver mes anciens élèves de leur condition modeste. Leur niveau de vie dépendait étroitement de la situation et du devenir de la campagne.

              Mais la conséquence la plus grave de mon projet m'a été raconté par mes collègues français. Ils ont été invités en mon absence à assister à une récolte de pommes de terre. La coopérative socialiste est une ancienne hacienda, elle a conservé l'habitude de faire surveiller sa récolte par des hommes à cheval, armés de pistolets et de fouets. Une foule innombrable entoure le champ et attend. Quand le dernier camion quitte les lieux, les cavaliers exécutent une fantasia, talonnés dangereusement par la précipitation d'une vague humaine envahissant tous les recoins du terrain. Voir tant de monde concerné par le glanage donne à réfléchir sur l'ampleur du phénomène. Combien de gens vivent grâce à ce moyen dans ces campagnes, où les zones cultivées sont très réduites et cernées par le désert?

              Toute socialiste qu'elle soit, la coopérative révolutionnaire emploie le minimum de personnel, pas plus d'ouvriers que l'ancien grand propriétaire, et utilise ses bénéfices à payer ses ingénieurs, qui veulent leur Toyota et vivre à la capitale dans la société de consommation, comme nous. Cette récolteuse n'aurait amélioré que le niveau de vie de cette minorité.

              Cette récolte avait eu lieu à Canete, une petite ville que je connaissais pour avoir été invité à une fête de famille chez des noirs très pauvres. Je me suis souvenu d'avoir vu sur leur table des pommes de terre douces provenant justement du glanage. Et moi, aujourd'hui, après avoir été chez eux, j'allais pour mes ambitions leur faire un tort que j'étais bien incapable de réparer.

              Le but du Président du Centre de formation a été atteint. Le recrutement de l'institut s'est amélioré, des bacheliers et des universitaires se sont inscrits. Nos anciens élèves se sont essouflés dans leur entreprise, faute de moyens. Les glaneurs n'ont rien à craindre, personne n'a pris le relais de ce projet. Il demande quelques courageux investissements dans sa mise au point que ne feront pas les Péruviens. Notre travail doit s'arrêter là où commence la rue, son industrie et son commerce obscur. Il est plus sage de se limiter à la formation, tout en reconnaissant notre manque d'impact dans cette situation industrielle extérieure. Heureusement personne ne nous a demandé de nous y adapter, il aurait fallu mettre une blouse couleur de rouille et fouiller la ferraille.

              J'ai revu en 1985 la première récolteuse dans le jardin de l'Institut comme une sculture métallique de Delfin. Les oiseaux l'avaient choisie comme perchoir et il y avait dessus beaucoup de duvet collé au guano. Le jardin était à l'abandon parce qu'une nouvelle construction voisine de l'institut était devenue le nouveau centre d'activité, quant aux machines outils il n'y en avait plus,.. le projet est maintenant italien et donnera dans l'informatique, seul le nom de: Blaise Pascal, lui est resté!

              Ces plumes sur la récolteuse m'ont enchanté, ma machine était fétichée par quelques offrandes des "LOIS" de la nature. Elle me rappelait une armoire toute neuve de la coopération suédoise que j'avais vue au Mozambique dans un atelier. Les oiseaux l'avaient couverte d'un matelas de plumes. En plus elle avait les pieds dans l'eau parce que la verrière était cassée depuis déjà quelques mois. Il y a ainsi pas mal de choses qui n'ont pas cessé de nous appartenir dans le Tiers Monde. (Lire le chapitre: MOZAMBIQUE.)

              De cette aventure il me reste une histoire et un prospectus; il m'a révélé mon SAINT! Cet échec tout en nuance, et avec d'autres, je l'appelle: LE CHEMIN MAUVE du technicien et de l'aide en général. Ce n'est pas le violet du guerrier tombé au champ d'honneur dans son uniforme indigo, ni la sueur déteinte en auréole sur le bleu de chauffe du mécanicien (1). Nous avons maintenant troqué notre bleu contre une blouse blanche dans la "productique" (terme nouveau pour désigner les travaux scolaires d'atelier dans les lycées techniques). Au Pérou j'avais déjà gagné une blouse bleu clair. Les Péruviens très sensibles au port du col blanc, avaient donné à leurs formateurs de formateurs, comme ils les nommaient, des blouses bleu clair, mélange de l'intellect et du manuel. Voilà une raison de plus pour écrire: Magie Bleue.

              Le "chemin mauve", c'est un semis d'ANEMONES CHARMANTES ET EPHEMERES que nous, coopérants et experts, avons planté au cours de nos érrances de projet en projet en blouse bleu clair ou sous la bannière des Nations Unies; les fruits de nos larmes rentrées, de nos échecs larvés, oubliés, et enterrés, que personne ne raconte.

 

Note 1
Au Mali, au Burkina Faso, les femmes enceintes se procurent un pagne indigo pour le travail de l'accouchement. Le forgeron traditionnel porte aussi cette couleur dans sa forge. Le bleu serait la couleur universelle des durs travaux.
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