
Si
au début d'une cérémonie vaudou, nous voyons les
officiants prier le Seigneur et la Sainte Vierge Marie pour demander l'autorisation
de commencer, si certains ont communié le matin même, pour
se préparer à cet événement, l'office commencera
réellement, et seulement quand le mystérieux PAPA LEGBA
sera appelé. Legba "monte" un participant, ou un simple
spectateur, il le terrasse, celui-ci se relève péniblement,
cassé en deux, traînant un pied, tel un vieillard en décrépitude.
Il est chevauché par le Dieu, l'entourage s'empresse, chante pour
lui complaire. On lui apporte une pipe, une sacoche et un bâton
ou une béquille afin qu'il s'y appuie. En maugréant il parle
en "langage", le maître du service interprète ses
messages pour l'assistance. Il prédit l'avenir, donne des conseils,
et surtout en messager des dieux, il ouvre les barrières du monde
de l'invisible pour donner le passage dans ce théâtre, aux
bons saints de l'abondance et de la fécondité.
C'est seulement sous ses auspices, avec son autorisation, que les grands
SAINTS de la magie blanche apparaissent, et communiquent avec les participants
pour satisfaire leurs demandes.
Malheureusement le bon déroulement dépend aussi de ce vieillard
acariâtre et lunatique, il aime créer des incidents, en particulier
en laissant pénétrer des génies malfaisants de la
mort, non invités : les guédé. Ces génies
vont provoquer le désordre par leurs moqueries, jusqu'à
saboter la cérémonie et faire fuir les saints.
La qualité de l'office dépend de la bonne volonté
de Legba, il est craint, mais il est indispensable pour rencontrer les
dieux et obtenir leur protection contre les maladies et la misère.
Pour avoir ses bonnes grâces, les vaudouisants lui offrent beaucoup
de cadeaux, en particulier des cigares dont il raffole.
En plus de son rôle de portier des dieux et d'interprète
auprès des humains, il est le gardien du foyer, dans le sens territorial
le plus large, englobant même les portes et les enceintes. Mieux
encore il est présent aux croisées des chemins, et il est
invoqué comme tel sous le nom de Maître-Carrefour. Or, c'est
sur l'embranchement des routes que les sorciers effectuent leurs travaux
de magie.
Nous concevons la puissance de cet infirme aux yeux étincelants,
à la voix geignarde ou hargneuse..!
Quand
les Haïtiens parlent du vaudou à un touriste, ils font référence
sans difficultés à Legba parce qu'il est du domaine public
par sa fonction de gardien et de messager. Mais en général
ils répugnent à en dire plus pour ne pas dévoiler
leur intimité, et confier des connaissances personnelles. Legba
a sa statue en vente au marché à la vue de tous, il ressemble
à ce vieillard boiteux appuyé sur une canne, fumant une
pipe d'un air boudeur. Sa canne recourbée cache un phallus.
Au
Togo, Legba est le dieu phallique des Fon, sa statue est celle d'un homme
nu, grandeur nature, assis sur un trône sous un abri, le sexe à
découvert et en érection. Il peut également être
représenté par un tas de terre en forme de pain de sucre
compor-tant à sa base un phallus dressé. Il se trouve aux
carre-fours des chemins, sur les places publiques, devant les maisons.
Il a tout à fait le même nom et le même rôle
de gardien des portails du monde de l'invisible qu'en Haïti. A cause
de son indécence, les Portugais quand ils l'aperçurent pour
la première fois crurent voir le diable, et l'église l'assimila
bel et bien à Satan. Mais il fait plus penser à un épouvantail
pour chasser les "oiseaux" des propriétés privées
qu'à un démon. Surtout que son sexe est toujours d'une taille
en dessous de la moyenne, et n'en fait pas un objet d'admiration, ni de
culte! Legba n'est pas un dieu phallique au sens propre.
Claude Planson nous apprend que Papa Legba peut s'appeler : SAINT SOLEIL.
Il est alors l'ange de la lumière de l'invisible qui éclaire
le monde des dieux. Comme Lucifer, le Prince des ténèbres
a été l'ange de la lumière du Paradis Terrestre,
permettant aux humains, avant le péché originel, de voir
les saints dans le jardin de l'Eden, Papa Legba serait, en quelque sorte,
ce qu'il reste d'ange de cette Puissance déchue. Malheureusement
il donne aux hommes un bien faible éclairage de l'invisible. L'ange
de la lumière n'est plus qu'un souffle, un génie fatigué.
Dans une émission télévisée, André
Malraux raconte son premier voyage en Haïti. Il rencontra Legba d'une
façon étonnante en visitant une communauté de paysans
éloignée de la capitale, appelée Saint Soleil, un
nom privilégié. Et là, à travers champs, des
peintures vinrent à lui, portées par leurs auteurs qui se
cachaient derrière les cadres. Chacune d'entre elles montrait un
personnage extraordinaire pouvant être doté de plusieurs
bras, tenant des branches feuillues et dont le visage sans trait était
gris. Intuitivement sensible à la magie, Malraux n'a néanmoins
pas deviné de qui il s'agissait... IL avait vu l'ange de la lumière
de l'invisible, le seul qu'il pouvait voir en arrivant pour la première
fois en Haïti. Il avait reçu un message étonnant, Legba
faisait réfé-rence à de la végétation,
des arbres et à plein bras.
Malraux raconta en plus dans cette émission un commen-taire du
Docteur Schweitzer assez surprenant de la part d'un protestant: quand
il y aura un syncrétisme possible entre les ESPRITS de la forêt
et LA SAINTE VIERGE MARIE, alors les Africains pour la première
fois, montreront les vrais fétiches et les porteront à côté
de la statue de Notre Dame! André Malraux devait mourir quelques
temps plus tard, et les paysans de Saint Soleil allèrent se recueillir
sur sa tombe avec les drapeaux des saints, en hommage au voyageur et au
journaliste qui avait parti-cipé à la connaissance de l'invisible,
à la vision des pauvres de ce monde.
Jean Kerboul dénonçant dans un deuxième livre, (Vaudou
et Pratique Magique) les méfaits de cette religion, compare Papa
Legba à HERMES, le dieu grec du commerce, des voyageurs et des
voleurs! Il ne s'en explique pas, mais cette comparaison est remarquable.
L'académicien Jean RICHEPIN dans sa "Nouvelle Mythologie Illustrée"
de 1920, écrit sur la vocation d'Hermès: Dieu des routes.
Il nous révèle le rôle des Hermaï de pierre en
Arcadie. "La protection d'Hermès s'étendait à
tous ceux qui circulaient sur les chemins ou plutôt sur les sentiers,
voyageurs, émigrants, chasseurs. Il veillait à ce qu'ils
ne s'égarassent pas. C'est dans ce but que se dressaient les Hermaï
qui remplissaient les fonctions de nos poteaux indicateurs. Ce ne furent
d'abord que de simples tas de pierres. Chaque voyageur, en passant, ajoutait
une pierre nouvelle au monceau déjà constitué. Il
se débarrassait ainsi de sa fatigue, passée dans la pierre
qu'il venait de lancer. Quand il le pouvait, le voyageur devait aussi
déposer des figues auprès des Hermaï. Il atteignait
ainsi un double but: d'un côté il honorait Hermès,
de l'autre il venait au secours des passants affamés. Les tas de
pierres primitifs furent à une certaine époque remplacés
par des symboles moins rudimentaires. Les hermaï dressés au
bord des routes prirent la forme de colonnes quadrangulaires, surmontées
d'une tête et presque toujours d'un phallus en érection.
Dès le début on donne à la tête une expression
artis-tique: les cheveux soigneusement disposés retombent sur la
nuque, la barbe est pointue. Leur taille est très variable; tantôt
ils avaient la grandeur d'un homme, tantôt ils ne s'élevaient
qu'à quelques pieds au-dessus du sol... De poteau indicateur, les
Hermaï devinrent poteaux frontières. Ils se dressaient aux
portes des villes, à l'entrée et dans la cour des maisons,
sur les places de marchés. On leur rendait un véritable
culte, surtout dans les basses classes de la société et
en particulier parmi la jeunesse des deux sexes. Les Hermaï étaient
ornés de branchages et de couronnes; on leur faisait des libations,
on leur offrait des fruits, des gâteaux et même des animaux.
Pendant les cérémonies, il était permis aux adorateurs
de toucher familièrement la tête ou le phallus des Hermaï,
sans diminuer leur vénération."
Les Hermaï et les Legba sont étonnamment semblables. L'approche
de Legba nous est facilitée par sa ressemblance avec Hermès,
mais avant de développer l'aspect, qui leur est commun, de messager
des dieux, abordons la curieuse utilisation de l'indignité d'Hermès
dans la psychothérapie moderne de l'école de Jung pour comprendre
et soigner les troubles du caractère dans les maladies psychiatriques.
"Hermes, berger énigmatique, rusé, nous guide sans
honte dans les sombres dédales de notre incons-cient. Dieu des
carrefours, des frontières, et non pas des censures, il parcourt
notre psyché, erre, et relie d'une façon thérapeutique
nos complexes psychologiques." (1) "Hermès
est le gardien de la lisière de notre intimité, là
où commence le différent de l'étranger, là
où notre sexualité marque comme des bornes kilométriques
la route de nos fantasmes, de notre imagination sexuelle, de notre côté
indigne, de notre commerce sentimental et psychologique avec l'extérieur,
avec tout ce qui délimite les domaines intérieurs et extérieurs
de notre vie".
Il apparaît qu'Hermès est le gardien de notre vie privée,
de nos libertés individuelles. Avec justesse les Cubains l'ont
identifié à notre ange gardien, ce compagnon de bon sens,
qui nous guide dans nos choix. (Los Angeles Custodios)
A la lecture de ce livre de psychothérapie, on peut comprendre
qu'une des stratégies médicales particulièrement
originale pour soigner certaine folie était de se faire Hermès
face à son patient, d'être indigne comme ce dieu, et plus
que son malade.
Apparemment l'expérience en coûte au psychiatre, il ne la
fait pas sans déplaisir. Par contre le malade s'en trouve peut-être
guéri, il a trouvé plus "con" que lui. La démarche
du médecin est évidement plus compliqué que cela,
elle ne se résume pas en un mot. Mais l'expression ordurière
"con" trouve là tout son sens. Plus qu'humiliante, elle
est blasphématoire pour notre ange, notre Legba. Nous l'imaginons
baisé malgré son pénis par le Legba des autres. A
se demander aussi d'où vient ce terme? Ne serait-ce pas ce qu'il
nous reste de la connaissance de ce Dieu?
L'inexplicable indécence de Legba trouve encore une autre réponse.
Ce ne sont pas les dimensions très modestes de son sexe qui feront
de lui un puissant dieu phallique. Mais son rôle de guide de la
jeunesse dans le monde caché de la sexualité, pour la rassurer.
Aux adultes, il communique par son exemple, ce sentiment de sécurité
qui peut faire défaut à tous les hommes, quand ils seront
susceptible d'être en état d'érection, heureux, sans
souci, dans leur territoire érotique. En deçà, le
cur pourrait leur manquer.
"L'intérêt qu'Hermès portait aux hommes les suivait
jusque dans leur sommeil et même après la mort. Il envoyait
des songes aux mortels et pouvait les endormir ou les réveiller
à sa guise." Sorte de "marchand de sable", les Grecs
se tournaient vers l'image du Dieu pour s'endormir. (Notre sommeil dépend
bien sùr de notre situation psychique). Hermès est aussi
responsable de l'âme des morts, il se charge de les accompagner
aux enfers. Pour cette raison il porte le nom mystérieux de psychopompe.
De la même manière, dans un domaine plus concret, la mythologie
grecque nous apprend qu'Hermès est le gardien du commerce entre
les hommes. Seigneur des communications, dieu du commerce, Hermès
règle les échanges (2),
fixe les poids et les mesures. Il est adoré des marchands et des
intermédiaires parce qu'il protège le gain et la tromperie
(3). Dieu des voyageurs et des voleurs,
voilà deux éléments importants des échanges
écono-miques avec l'inconnu, où le silence, la friponnerie
et le vol sont de mise. Hermès n'a pas honte de l'indignité
dans laquelle l'entraîne sa fonction, parce qu'il préserve
avant tout les libertés de notre commerce au sens large avec autrui:
individuelles, du secret médical, de l'amour...
Hermès, dès sa naissance, vola à son frère
aîné Apollon 50 bufs. Ce dernier, n'ayant trouvé
aucun indice dévoilant le voleur, ne le découvrit que grâce
à son pouvoir divinatoire.
Hermès rendit les bufs et fit tomber la colère de
son frère grâce à son art de la musique, art qu'il
était prêt à échanger avec lui contre celui
de la divination. Mais Apollon vola son frère à son tour
en lui cédant le pouvoir le plus incertain qui soit: celui des
dés, de la loterie.
"Zeus ayant eu connaissance du vol, conjura Hermès de respecter
désormais les droits de la propriété et de s'abstenir
de commettre des mensonges impudents; avec une pointe d'amusement, il
lui dit: "tu me sembles être un petit dieu fort ingénieux,
éloquent et persuasif". (4)
- Alors adopte-moi comme messager, répondit Hermès et je
serai responsable de la sécurité de toute propriété
divine, ne ferai jamais de mensonge bien que je ne puisse promettre de
dire absolument toute la vérité.
- On ne peut guère l'espérer de ta part, dit Zeus en souriant,
mais tes fonctions consisteront à établir des contrats,
à favoriser le commerce et à veiller à la libre circulation
des voyageurs sur toutes les routes du monde.
Hermès reçut de Zeus le caducée en or du commerce
et de la médecine, où s'entrelacent deux serpents, symbolisant
une concorde assujettie à la vigilance de ces deux êtres.
Il reçut aussi des sandales ailées en or, qui le transporteraient
avec la rapidité du vent.
Hermès ouvre le chemin au développement économique
et à la prospérité, comme Legba ouvre les portes
aux saints de l'abondance dans les cérémonies vaudou. Et
comme lui, il est malheureusement responsable de la mauvaise marche des
choses. Il laisse les serpents de son caducée sans aucun frein,
libres de faire de gros profits. Ils sont les esprits malveillants et
respon-sables de la mauvaise répartition des richesses et indirectement
des conflits, de la violence des révolutions, et de la faillite
écono-mique qui s'ensuit. On comprend que le Christ ait chassé
les marchands du temple et que les communistes les expulsent du pays;
en effet, une société luttant contre les classes exploitantes
ne peut tolérer cette classe mercantile, de voyageurs et de voleurs.
En jetant les marchands hors du temple, le Christ fermait les portes de
son église au Saint du commerce et de sa suite, les saints de la
consommation et de l'abondance. Avec sa bénédiction, les
saints se développèrent dans le monde laïc et devinrent
les LOIS au sens propre. Ce sont les lois de l'économie, des juristes,
de la démocra-tie, mais aussi des sciences, de la communication,
de la médecine, de la technologie... La langue créole d'Haïti
a merveilleusement nommées les saints: "Loas", et les
lois; nous ne le savions pas, sont saintes! Il n'est pas question de les
prier, elles sont sorties de l'église. La différence de
développement économique entre les peuples catholiques du
sud de l'Europe et les peuples calvinistes et luthériens du nord
a souvent été expliquée avec raison par l'obscurantisme
religieux dont fait preuve le sud, avec sa foi de charbonnier, envers
de multiples saints de la chance pour les affaires et la santé.
Grâce au commerce d'Hermès, les lois s'épanouissent
et se multiplient, sécrétant des lois sociales de la divinité
féminine, Marianne, destinées à humaniser cette société
de libre-échange. Mais il n'en reste pas moins que le Legba des
pauvres est ce vieillard boiteux, et que le Legba des riches est Hermès,
un jeune homme ailé, muni d'une bonne bourse... A chacun son Legba,
donc son héritage, son "legs d'ici-bas"...!
Les riches européens et américains jouissent de siècles
de prospérité et si leur Hermès n'a pas encore les
ailes d'or du Para-dis des saints qui rendent les communications transparentes
et le commerce amour, ni le caducée miraculeux de la médecine
pour réveiller les morts, celui qu'ils possèdent n'est pas
négligeable: c'est l'Hermès des technologies des satellites
de la communication et de la recherche médicale.
La loi d'Hermès est opportuniste. Pour sauvegarder la concorde
avec Apollon, il admet que ce dernier fasse un plus gros bénéfice
que lui parce qu'il se sait en position de force inférieure. Il
en est de même pour les hommes, la loi d'Hermès veut que
le pauvre accepte de gagner moins que le riche dans leurs échanges,
se satisfaisant d'avoir gagné seulement quelque chose en valeur
absolue.
Il en va de même entre pays, les nations riches ne commer-cent que
pour faire des bénéfices en rapport avec leur puissance.
Les pays pauvres sont exploités, mais s'ils se ferment au marché
libre, leur saint aura les ailes encore plus coupées, il ressemblera
de plus en plus au vieux Papa Legba, parce qu'il n'y a rien de pire que
d'être abandonné.
Les repas d'affaires, les dessous de table, les pots de vin, pour bien
prédisposer les clients, sont des cultes rendus à Hermès.
C'est une reconnaissance implicite de l'inégalité de l'échange
par le plus modeste des deux vendeurs.
Plus grave, les lois du marché ne sont pas toujours respec-tées
par les riches. "Dans le monde de l'agriculture, les subven-tions
données au paysan canadien sont de: $ 20 000 /an, à l'Américain,
de: $ 10 000 /an, au Français, de $ 2 000 /an." Si le paysan
africain recevait la moitié de ce que touche le Français,
il serait plus riche que les gens des villes. Edgard Pisani dans son livre
"Pour l'Afrique" critique les thèses ultralibérales
de Galbraith, qui dit: "Puisque l'aide coûte tant et rapporte
si peu, mieux vaut laisser au marché et à la libre entreprise
le soin de résoudre les problèmes du développement....(Trade
not aid), branches saines contre branches pourries!"
"Une telle logique marchande repose sur une formidable imposture:
en fait, la loi du marché ne s'applique qu'aux produits des pays
pauvres. Les prix des produits des pays industriels sont artificiels,
et la concurrence, à laquelle on fait référence comme
à un dogme, pourrait bien être une supercherie."
Parce qu'il n'y a pas de vrai marché, la thèse de l'ultra-libéralisme
est dangereuse. Il ne faut pas donner à Hermès tous les
pouvoirs, mais le contrôler en lui laissant quelques petites libertés,
même s'il invente quelques trafics trop habiles, c'est sans importance,
ils seront sans envergure. Il faut que le "malin" ne se décourage
pas trop, qu'il ait le sentiment de pouvoir encore exister, alors qu'il
est systématiquement éliminé comme le diable chez
les marxistes.
Dans les sociétés marxistes-léninistes, les commerçants
sont remplacés par des services de distribution. L'expérience
montre que ces organismes entravent la bonne marche des échanges:
il n'y a plus de "mercuriales" pour balancer les prix entre
l'offre et la demande, il y a distorsion entre la production, les stocks
et la quantité d'argent en circulation. L'intransigeance marxiste
en fait les frais, les communistes découvrent chez eux le marché
noir et la corruption qui sont tout profit pour le voleur. Le dieu du
commerce, le bel et jeune Hermès, mis à la porte par le
système, réapparaît dans les échanges occultes,
il est revenu sous l'aspect de l'indigne et diabolique Legba (5).
En U.R.S.S. il a un manteau usé sous lequel il cache les produits
de ses ventes. Au Mozambique, ses chaussures sont recousues et sa veste
est le manteau de son enfance qui date d'avant la révolution; son
commerce s'appelle Candonga, un beau mot africain à la résonance
magique comme le Condomblé du Brésil.
Legba est un mal nécessaire, vous le chassez par la porte et il
revient par la fenêtre, pire qu'avant. L'humanité est incorrigible,
elle est constituée de quelques archétypes fondamentaux
et indispensables, même s'ils ne sont pas beaux. Ces modèles
primitifs sont en notre sein les dénominateurs communs au plus
grand nombre d'entre nous, ce sont nos dominateurs, nos dieux. Les meilleurs
exemples sont ces Loas: Loa des travailleurs manuels, Loa de l'amour féminin,
Loa des démarcheurs etc. ... Le marxisme nous en a fait la preuve,
il nous révèle chez lui les images d'actualité du
Saint des mécaniciens et de Legba.
Dans les sociétés de libre échange, les commerçants
ont deux possibilités: vendre cher et très peu, ou vendre
bon marché et en quantité. Dans ce dernier cas, nous ne
pouvons pas les accuser d'être paresseux, ils doivent gérer
des stocks, des services, et c'est effectivement un vrai travail qui ennoblit
Hermès. Dans le chapitre "L'Animisme inavoué de la
modernité" nous verrons combien il a droit à notre
estime et admiration.
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Retour tête
de chapitre
(1) Page de garde du livre "Hermes et ses enfants
dans la psychothérapie" du professeur Raphael Lopez Pedraza
de l'Université de Caracas, publié chez Payot.
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(2) Les prix affichés sur les marchés
s'appellent des mercuriales, Mercure est l'Hermès des Romains.
R
(3) L'argent d'Hermès est l'amende que devait
fournir un marchand malhon-nête pour se racheter. C'est toujours
beaucoup moins que ce qu'il a détourné. Les lenteurs judiciaires
semblent aussi travailler dans cet esprit. Pour ne pas être expéditives,
elles arrangent bien les coupables, le temps travaille pour eux. (2) Les
prix affichés sur les marchés s'appellent des mercuriales,
Mercure est l'Hermès des Romains.
R
(4) Extrait de: "Les Mythes Grecs" de Robert
Graves.
R
(5) Dans le dictionnaire des mythologies de chez Flammarion,
il est écrit sur Hermès: " A défaut d'être
le dieu des échanges qui se croisent et des biens qui circulent,
il menace d'être le prince des brigands: Dieu des marchands ou Roi
des voleurs."
R
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