Il est un saint bien étonnant à connaître parce qu'il
ne fait rien, mais que sans lui rien ne peut être fait. On dit que
dans son sommeil, en se lovant sur lui-même, il maintient le monde
et l'empêche de tomber. Tout ce qui bouge, tout ce qui est sinueux,
tout ce qui est rond est de son ressort. Les Dogons croient que, quand
il ne se mordra plus la queue, ce sera la fin du monde. Il accompagne
le plus vieux du village, le Hogon anachorète, qui s'est retiré
du monde pour communiquer avec les esprits, et il le lèche pour
se désaltérer parce que le Hogon n'a pas d'eau à
lui donner. Il est l'esprit de DAN, totem de la famille royale de Ouidah
au Bénin, compagnon d'un vieillard devin et magicien du vodou africain.
Pour les Haïtiens il est DAMBALLAH l'esprit de la connaissance du
bien et du mal, très haut dans la hiérarchie des saints,
son image syncrétique est celle, tout ensemble, de Saint Patrick
en habit d'évêque parce qu'il a une barbe blanche, et des
serpents que celui-ci chasse du doigt et du pied vers une étendue
d'eau. Il est l'arc-en-ciel qui descend du feu du ciel pour boire l'eau
de la terre. Il est le serpent glissant sur le poteau mitan du péristyle
(1), enroulé autour de l'arbre
légendaire qui relie le ciel et la terre et dont les branches portent
tous les fruits et les fleurs de la création. Pour sa cérémonie,
un sabre est planté dans le sol et une bassine d'eau lui est destinée.
L'eau est là pour refroidir la connaissance exaltée par
le pouvoir, le sabre est là pour partager la pomme entre tous.
Il
y a longtemps, à cause de cette pomme, il a provoqué la
chute d'Adam et d'Eve. Dans cette tragédie, le Livre Saint fait
plus particulièrement à Eve un procès dont on trouve,
encore aujourd'hui, les traces et les conséquences chez les Juifs
et les Musulmans. Il est dit que le serpent était plus l'ami d'Eve
que d'Adam ; l'animal lui aurait inspiré le désir de cueillir
le fruit défendu (2). Pour les
gens, Eve est responsable au premier degré du péché
originel.
Depuis ce triste événement, Le serpent a non seulement perdu
son pouvoir semi-personnel à côté de Dieu le Père,
dont il était l'assistant, la lumière, et le sceptre des
couleurs, mais il a perdu aussi Eve. Pour les punir, Dieu dit au serpent:
"Je mettrai l'inimitié entre toi et la femme". Dans l'Apocalypse
"l'énorme reptile se place continuellement devant la femme
et crache des flammes". C'est cette rupture avec le serpent qui est
grave pour un vaudouisant, le reptile la devance auprès des hommes,
il leur propose la soif de l'argent et du pouvoir avant d'aimer la femme,
la nature, la terre.
Le vaudou fait la démarche inverse, il a conservé la situation
antérieure au péché. Il unit dans sa mythologie le
serpent au Doyen du village, le plus digne représentant de Dieu,
ou du Grand Architecte, comme s'ils n'avaient jamais été
brouillés. Il lie le serpent à la femme, comme s'ils étaient
encore amis.
Dans ses aventures amoureuses, Yemalia, la fille adorée d'Obatala,
est défendue par le serpent de la jalousie de son père chéri,
dont la robe et la barbe si blanche laisse heureusement, présager
d'une grande sagesse et compréhension (3).
Il existe dans le vaudou une liaison platonique (4)
entre le serpent et la divinité féminine,
que l'on retrouve dans de nombreuses mythologies.
Athéna, fille de Zeus, déesse de la Pensée, des Sciences
et de l'Industrie, est protégé par l'égide, sorte
de manteau d'écailles et de serpents provenant de la tête
de la Gordone, qu'elle peut utiliser comme d'un bouclier. La Vouivre de
Franche Comté fait garder sa parure par des vipères quand
elle se baigne nue dans les rivières. Mami-Wata de la côte
de Guinée, est sur les images une sirène charmeuse de serpents.
Les riches commerçantes togolaises, "les Madames Benz"
consultent pour leurs affaires un petit serpent qu'elles cachent sous
une pile de pagnes. A la fin des journaux télévisés
des chaines, TF1, l'A2,..., le buste de Marianne de la bourse de Paris,
et la statue de la Liberté de N.Y. apparaissent souvent symboliquement
avec les cours fluctu-ants des actions françaises et du Down John
américain.
La vie amoureuse de la divinité haïtienne de l'amour répond
à nos fantasmes, elle nous donne une vision du paradis habituellement
dénoncée comme une tentation du diable: "débordement
sexuel, exubérance, fécondité désordonnée".
La déesse sait que ses amours doivent être cachées.
Elle s'entoure du silence et de l'obscurité des grands fonds où
elle entraîne ses amants pour satisfaire ses passions. Heureusement
pour son plus grand bien, elle s'est liée d'amitié avec
le serpent arc-en-ciel qui l'auréole de sa connaissance du bien
et du mal et endigue ses élans débridés. L'amour
sans la connaissance, c'est comme un torrent qui emporte tout sur son
passage: "une calamité". La connaissance sans sans l'amour,
c'est comme le lit d'une rivière désséchée:
"un tas de pierres" (5).
Tant
que les différences sociales susciteront la jalousie, tant que
les richesses ne seront pas développées en tous les points
du globe, tant qu'il y aura des maladies et de la misère, l'amour
physique devra être occulté ou avoir la pureté de
l'iceberg de la morale judéo-chrétienne ; sinon il se noiera.
Le
serpent, dénoncé par la bible, présent dans de nombreuses
mythologies : grecques, indiennes.., plus près de nous, à
Paris, il réapparaît, révélé par la
médaille miraculeuse de la rue du Bac. La Très Sainte Vierge
Marie le tient bien bridé sous son pied. Elle lui fait lâcher
la pomme. Le fruit de la richesse est devenu dans ses mains la charité
de l'or. De ses manches coulent des diamants, et dans sa main droite elle
tient une clef.
Rue
du Bac, le serpent qui sait tout, accepte d'être bachelier à
Paris, au service du "Ministère" de Marie sur terre :
la République de Marianne, pour une réunion démocratique
des saints, pour la Liberté, la Fraternité ,l'Egalité,
quelque soit la hiérarchie de nos archétypes. Un miracle
s'est accompli, le reptile est redevenu le complice de la femme, Marianne
et ses consurs ont l'égide et la force d'Athéna. Pour
perpétrer le miracle, la terre doit être embellie par le
serpent du Doyen.
Dans
les anneaux de DAN à cause de nos goûts de HOGOU, nous sommes
dedans avec Ezili, et la terre Pachamama. Damballah est le"dans"
d'ici bas, le "dans" de notre monde d'argent. Heureusement DAN
continue de se morde la queue, il ne met pas ses menaces de tout lâcher
à exécution. Les richesses des vieux ne disparaissent pas
avec eux !
Les
vieux Doyens devraient raisonnablement terminer leur vie au service de
la beauté de la terre. C'est peut-être pour cela que nous
sommes sur terre. Ils pourraient signer leur départ d'une croix
verte en faisant réaliser des jardins nourriciers.
Après
leur mort, quelques soient les hypothèses de l'Au-delà,
ils retrouverons la terre plus sûrement que leur fortune. Pachamama
est trop désargentée, seul le vieil homme et le serpent
peuvent lui faire crédit, mais il semble bien qu'ils ont toujours
peur d'elle et de l'amour.
Aux confins de la misère haïtienne, la situation de Hogou
guerroyant, de Legba indigne commerçant, menteur et voleur, oblige
Ezili à se prostituer pour assouvir les élans de sa nature
amoureuse. C'est l'inévitable engrenage des expédients utilisés
pour mieux vivre dans un pays pauvre comme Haïti, Cuba.
Pour
que l'humanité féminine s'épanouisse, il faudrait
que Legba rende les communications transparentes, le commerce deviendrait
amour. Il faudrait que Gou laisse ses armes, travaille à l'expansion
des richesses, et habille "La Pintade". Il faudrait surtout
que les Doyens, pèsent de tout leur charisme sur les autres générations,
pour la beauté féminine de la terre.
Après
avoir découvert le saint des ouvriers, le saint des commerçants,
il apparaît bien que les hommes qui contrôlent le pouvoir
de l'argent, le fruit du pommier indispensable à notre survie parce
que nous l'avons préféré à l'insouciance paradisiaque,
relèvent du troisième saint; le serpent arc-en-ciel. Les
financiers, les administratifs, les gestionnaires, et les économistes,
ces gens qui sont toujours assis comme de vieux doyen, et qui, pour un
esprit primaire semblent ne servir à rien parce qu'ils ne font
rien de leurs mains, font les métiers de l'argent et ils sont indispensables
à la République, à la répartition des richesses
dans la pyramide sociale.
Parasites, empêcheurs kafkaiens de faire, au service de l'exploitation
du grand capital ou de la dictature marxiste, ils sont moins mauvais sous
le pied de Marianne, qui contrôle, avec ses élus, la jungle
des forts et des serpents. Marianne, austère dans son drapé
grec, les tient comme la Sainte Vierge Marie par le petit bout de la cravate
que le conformisme les oblige à porter.
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(1) Hamfor, ou péristyle est le sanctuaire traditionnel
du vaudou dont la toiture est soutenue par un poteau central sur lequel
sont dessinés deux serpents entrelacés et un arc-en-ciel.
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(2) Christian Jack écrit dans son livre "Maître
Hiram et le Roi Salomon": "Le cobra est la déesse serpent
Renenoutet, souveraine du silence et garante de la prospérité.
Le mot "Eve viendrait d'un terme égyptien qui signifie "souveraine
du silence", et qui était écrit avec un serpent."
R
(3) Obatala est identifié à Cuba par Notre Dame de la Merci,
tout de blanc vétue. Elle est la protectrice des chrétiens
prisonniers des musulmans!
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(4) Claude Planson parle de relation platonique entre Ezili et Dan. Alfred
Métraux écrit qu'Ezili est placée auprès de
Dan, elle serait sa seconde concubine. Ezili n'a pas trop le choix pour
assumer ses besoins d'amour. Gou est en exil, si elle n'a pas de raison
d'écarter les grands Saints de sa couche vide, elle refuse pourtant
l'amour à Papa guédé, et aux génies des morts
en général.
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(5) Citation de Claude Planson dans: "Un initié vous parle"
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