NOTE 5 : PEUR OU CREDIT

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              La paresseuse couleuvre Damballah, fine comme un lacet, serre dans ses anneaux la bourse des riches. Sa présence est symbolisée par l'étroite cravate de ses employés de banque, pour créer les relations de sérieux et de confiance avec les clients. L'argent est dirigé par son intelligence remarquable, mais aussi dominé par sa méfiance, sa peur. Il n'y a pas plus peureux qu'elle parmi les dieux, une peur paralysante et inquiétante pour l'équilibre du monde. Nous en savons quelque chose : le serpent monétaire européen enlacé au sigle du dollar "$" craint plus que tout les faiblesses de son ami américain. Il vit l'angoisse au ventre, et se tord en convulsions désordonnées à la moindre alarme. La bourse s'enfle et se dégonfle comme le goitre d'un crapaud, ou se rétracte comme une peau de chagrin. Les monnaies montent et descendent des échelles incompréhensibles, les chiffres ont la danse de Saint-Guy, la Chorée ; ils pissent, chient, et ruinent les petits épargnants. D'énormes reptiles argentés, sans noms, sans nationalités, ni frontières, naissent dans les coffres forts des grandes places financières. Ils vampirisent les économies fragiles des nations qui ont eu recours un jour au diable, pour mieux vivre.
              La peur du serpent, c'est notre propre peur augmentée de celle des autres. D'une certaine manière l'argent n'existe que par le crédit que nous lui portons. Sans la confiance, l'argent est une chimère. Nous savons que nous pouvons provoquer un cataclysme monétaire, si du jour au lendemain nous décidions d'aller tous chercher nos économies en banque. Il n'y aurait jamais assez de liquidité pour nous payer. Les banques fermeraient leurs portes et seraient en faillite par notre manque de confiance à leur égard. Le crédit est fondamental.

              Les écologistes espèrent qu'en éliminant les dépenses militaires, ils auront plus d'argent pour l'éducation, les œuvres sociales, l'écologie. C'est un calcul trop facile pour être vrai. En dehors des économies humaines non négligeables qui découleraient du désarmement ; ce serait plus d'hommes pour des œuvres positives : recherche, fabrication de pompes, agriculture, (et compagnonnage en Afrique), nous n'aurions guère plus d'argent à distribuer dans les autres secteurs, parce que les crédits accordés à l'armée disparaîtraient avec le désarmement. L'argent du budget de l'armée n'existe pas en-soi, son crédit dépend d'un credo. Les fonds du Ministère de la Défense sont déterminés par le besoin de sécurité, et dans cet esprit, par l'effort consenti de l'ensemble de la Nation, suite à l'expérience acquise par les générations précédentes, en d'autres temps.
              La croissance des crédits dépend des ventes d'armes à l'extérieur, de leurs succès, et de l'effet de dissuasion que suscite notre armée chez nos voisins. La comparaison du coût d'un tank avec un hôpital ne montre que l'importance de l'armement, et l'effort national, mais ce n'est évidement ni le même argent, ni la même source.
              Le budget de l'état ne dépend pas que des sommes perçues par les impôts directs et indirects, mais de ses emprunts, de facteurs multiples, inextricablement enchevêtrés et complexes, souverainement dominés par la confiance en sa monnaie. Des organismes extérieurs au pays, comme le Fonds Monétaire International, jaugent nos audaces budgétaires, apportent leur crédit à notre monnaie et accordent des prêts à nos plans gouvernementaux, si et seulement si, nous sommes réalistes avec nos dépenses non productives. Nos hommes politiques de droite comme de gauche sont tributaires de l'image qu'ils projettent. Ils dépensent dans chaque domaine ce qu'il est plausible, sage, accordable à leur crédit.
              Notre Etat, dans le concert des autres nations est facilement accusable d'être un mauvais monnayeur s'il ne soutient pas sa monnaie en la rachetant avec des devises étrangères. C'est le cas des monnaies non convertibles, que l'on nomme monnaie de singe. Nous savons quel handicap représentent ces monnaies, et la difficulté d'être dedans avec DAN.
              Au Mozambique, durant l'époque coloniale portugaise, l'Afrique du Sud sous-traitait avec le pouvoir les ouvriers mozambicains pour l'extraction de l'or dans ses mines. Elle payait le gouvernement portugais avec de l'or et ce dernier payait les ouvriers avec des escudos portugais, monnaie convertible mais fragile. Aujourd'hui, l'Afrique du Sud sous-traite encore avec le gouvernement révolutionnaire mozambicain, et le paye mystérieusement en Rands! Le gouvernement du défunt Samora Mached paye alors les ouvriers en méticaïs, monnaie non convertible, qui s'échangeait en 1982 au marché noir 12 fois son prix officiel de 35 mét./$, soit: 420 mét./$. Heureusement l'ouvrier a quelques avantages, comme l'envoi de marchandises à sa famille.
              Les Latino-américains font leurs économies en dollars, et pas "DAN" leur monnaie. L'Afrique francophone heureusement est "DAN" la zone du franc, grâce aux CFA. Leur crédit et leurs liquidités sont dosés par Paris. Si c'est une atteinte à la souveraineté des gouvernements africains, c'est mieux pour le peuple, qui par expérience, a tout à craindre de ses gouvernants. Les Maliens en ont fait la démonstration. Pour qu'un projet voie le jour, il faut qu'il gagne son crédit en animant le plus de monde possible pour lui. Le dernier à bouger sera le financier, grâce à l'aval des autres. La reforestation du Sahel avec une armée de compagnons des Nations Unies, bien payée, bien équipée, pour réaliser des travaux d'envergure, n'a pas trop du concours de tous les saints pour trouver les crédits d'un tel projet utopique et divin ! C'est tout un credo !
              Aussi utopique est le désarmement. Son contrôle est difficile, la trahison facile. Il peut provoquer du chômage, avec la mise à pied des travailleurs de l'industrie concernée, une possible crise économique, et nous ne savons pas où tout cela pourrait nous entraîner.
              Alors utopie pour utopie, il serait souhaitable qu'à la même cadence que nous désarmons, nous menions la bataille de la forêt et de l'eau entre pays avec le saint guerrier devenu écologiste, pour éviter l'inflation ou la recession. Les premiers concernés à devenir les compagnons du saint, six mois par an, seraient les employés de l'armement, et plus particulièrement ceux des pays socialistes. Ne serait-ce pas la meilleure façon de limiter leur zèle dans le réarmement ? Ils sont plus disponibles aussi que les gens des pays capitalistes, prisonniers d'un business personnel.
              Il manque à nos hommes politiques un projet de société d'envergure, en voilà un pour l'Europe de demain dans la grande mouvance de la francophonie. D'ailleurs comment la France peut-elle croire qu'elle entrera dans l'Europe sans l'Afrique qui lui est si proche culturellement.
              Pour que le projet de l'Europe n'avorte pas, le serpent monétaire de l'ECU ne se mordra-t-il pas aussi la queue en Afrique avec l'héritage du CFA, comme notre serpent monétaire, comme le serpent Dogon, pour que le monde ne tombe pas ? Les difficultés et les dettes africaines sont plus françaises que nous ne l'imaginons, et notre serpent est finalement plus généreux que de nombreux Français. C'est le cas de toutes les institutions démocratiques d'être meilleures que les hommes, ce en quoi, elles sont saintes par rapport à eux.

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