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La paresseuse couleuvre Damballah, fine comme un lacet, serre dans ses
anneaux la bourse des riches. Sa présence est symbolisée par l'étroite
cravate de ses employés de banque, pour créer les relations de sérieux
et de confiance avec les clients. L'argent est dirigé par son intelligence
remarquable, mais aussi dominé par sa méfiance, sa peur. Il n'y a pas
plus peureux qu'elle parmi les dieux, une peur paralysante et inquiétante
pour l'équilibre du monde. Nous en savons quelque chose : le serpent monétaire
européen enlacé au sigle du dollar "$" craint plus que tout les faiblesses
de son ami américain. Il vit l'angoisse au ventre, et se tord en convulsions
désordonnées à la moindre alarme. La bourse s'enfle et se dégonfle comme
le goitre d'un crapaud, ou se rétracte comme une peau de chagrin. Les
monnaies montent et descendent des échelles incompréhensibles, les chiffres
ont la danse de Saint-Guy, la Chorée ; ils pissent, chient, et ruinent
les petits épargnants. D'énormes reptiles argentés, sans noms, sans nationalités,
ni frontières, naissent dans les coffres forts des grandes places financières.
Ils vampirisent les économies fragiles des nations qui ont eu recours
un jour au diable, pour mieux vivre.
La peur du serpent, c'est notre propre peur augmentée de celle des autres.
D'une certaine manière l'argent n'existe que par le crédit que nous lui
portons. Sans la confiance, l'argent est une chimère. Nous savons que
nous pouvons provoquer un cataclysme monétaire, si du jour au lendemain
nous décidions d'aller tous chercher nos économies en banque. Il n'y aurait
jamais assez de liquidité pour nous payer. Les banques fermeraient leurs
portes et seraient en faillite par notre manque de confiance à leur égard.
Le crédit est fondamental.
Les écologistes espèrent qu'en éliminant les dépenses militaires, ils
auront plus d'argent pour l'éducation, les œuvres sociales, l'écologie.
C'est un calcul trop facile pour être vrai. En dehors des économies humaines
non négligeables qui découleraient du désarmement ; ce serait plus d'hommes
pour des œuvres positives : recherche, fabrication de pompes, agriculture,
(et compagnonnage en Afrique), nous n'aurions guère plus d'argent à distribuer
dans les autres secteurs, parce que les crédits accordés à l'armée disparaîtraient
avec le désarmement. L'argent du budget de l'armée n'existe pas en-soi,
son crédit dépend d'un credo. Les fonds du Ministère de
la Défense sont déterminés par le besoin de sécurité, et dans cet esprit,
par l'effort consenti de l'ensemble de la Nation, suite à l'expérience
acquise par les générations précédentes, en d'autres temps.
La croissance des crédits dépend des ventes d'armes à l'extérieur, de
leurs succès, et de l'effet de dissuasion que suscite notre armée chez
nos voisins. La comparaison du coût d'un tank avec un hôpital ne montre
que l'importance de l'armement, et l'effort national, mais ce n'est évidement
ni le même argent, ni la même source.
Le budget de l'état ne dépend pas que des sommes perçues par les impôts
directs et indirects, mais de ses emprunts, de facteurs multiples, inextricablement
enchevêtrés et complexes, souverainement dominés par la confiance en sa
monnaie. Des organismes extérieurs au pays, comme le Fonds Monétaire International,
jaugent nos audaces budgétaires, apportent leur crédit à notre monnaie
et accordent des prêts à nos plans gouvernementaux, si et seulement si,
nous sommes réalistes avec nos dépenses non productives. Nos hommes politiques
de droite comme de gauche sont tributaires de l'image qu'ils projettent.
Ils dépensent dans chaque domaine ce qu'il est plausible, sage, accordable
à leur crédit.
Notre Etat, dans le concert des autres nations est facilement accusable
d'être un mauvais monnayeur s'il ne soutient pas sa monnaie en la rachetant
avec des devises étrangères. C'est le cas des monnaies non convertibles,
que l'on nomme monnaie de singe. Nous savons quel handicap représentent
ces monnaies, et la difficulté d'être dedans avec DAN.
Au Mozambique, durant l'époque coloniale portugaise, l'Afrique du Sud
sous-traitait avec le pouvoir les ouvriers mozambicains pour l'extraction
de l'or dans ses mines. Elle payait le gouvernement portugais avec de
l'or et ce dernier payait les ouvriers avec des escudos portugais, monnaie
convertible mais fragile. Aujourd'hui, l'Afrique du Sud sous-traite encore
avec le gouvernement révolutionnaire mozambicain, et le paye mystérieusement
en Rands! Le gouvernement du défunt Samora Mached paye alors les ouvriers
en méticaïs, monnaie non convertible, qui s'échangeait en 1982 au marché
noir 12 fois son prix officiel de 35 mét./$, soit: 420 mét./$. Heureusement
l'ouvrier a quelques avantages, comme l'envoi de marchandises à sa famille.
Les Latino-américains font leurs économies en dollars, et pas "DAN" leur
monnaie. L'Afrique francophone heureusement est "DAN" la zone du franc,
grâce aux CFA. Leur crédit et leurs liquidités sont dosés par Paris. Si
c'est une atteinte à la souveraineté des gouvernements africains, c'est
mieux pour le peuple, qui par expérience, a tout à craindre de ses gouvernants.
Les Maliens en ont fait la démonstration. Pour qu'un projet voie le jour,
il faut qu'il gagne son crédit en animant le plus de monde possible pour
lui. Le dernier à bouger sera le financier, grâce à l'aval des autres.
La reforestation du Sahel avec une armée de compagnons des Nations Unies,
bien payée, bien équipée, pour réaliser des travaux d'envergure, n'a pas
trop du concours de tous les saints pour trouver les crédits d'un tel
projet utopique et divin ! C'est tout un credo !
Aussi utopique est le désarmement. Son contrôle est difficile, la trahison
facile. Il peut provoquer du chômage, avec la mise à pied des travailleurs
de l'industrie concernée, une possible crise économique, et nous ne savons
pas où tout cela pourrait nous entraîner.
Alors utopie pour utopie, il serait souhaitable qu'à la même cadence que
nous désarmons, nous menions la bataille de la forêt et de l'eau entre
pays avec le saint guerrier devenu écologiste, pour éviter l'inflation
ou la recession. Les premiers concernés à devenir les compagnons du saint,
six mois par an, seraient les employés de l'armement, et plus particulièrement
ceux des pays socialistes. Ne serait-ce pas la meilleure façon de limiter
leur zèle dans le réarmement ? Ils sont plus disponibles aussi que les
gens des pays capitalistes, prisonniers d'un business personnel.
Il manque à nos hommes politiques un projet de société d'envergure, en
voilà un pour l'Europe de demain dans la grande mouvance de la francophonie.
D'ailleurs comment la France peut-elle croire qu'elle entrera dans l'Europe
sans l'Afrique qui lui est si proche culturellement.
Pour que le projet de l'Europe n'avorte pas, le serpent monétaire de l'ECU
ne se mordra-t-il pas aussi la queue en Afrique avec l'héritage du CFA,
comme notre serpent monétaire, comme le serpent Dogon, pour que le monde
ne tombe pas ? Les difficultés et les dettes africaines sont plus françaises
que nous ne l'imaginons, et notre serpent est finalement plus généreux
que de nombreux Français. C'est le cas de toutes les institutions démocratiques
d'être meilleures que les hommes, ce en quoi, elles sont saintes par rapport
à eux.
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